Demain on déménage
Ionesco ain’t dead, baby ! He was just havin’ a break ! Bon d’accord, en fait il est vraiment mort, mais il revit un peu dans le nouveau film de Chantal Akerman, Demain on déménage. Servi par d’admirables acteurs (les deux actrices principales, mais aussi l’ensemble des rôles annexes, qui font vivre l’histoire), ce film est en effet placé sous le signe de l’absurde, du jeu intellectuel, des situations fantasques, du plaisir de l’esprit.
Peut-être connaît-on mieux Chantal Akerman comme documentariste (De l’autre côté, Sud, D’Est pour citer les plus récents), mais c’est oublier son impressionnante carrière de réalisatrice de fictions (La Captive, adapté de l’œuvre de Marcel Proust, ne date que de 1999), de vidéaste, d’auteur (de récits, de théâtre), de photographe. Dans chacune de ses œuvres, elle semble avoir le don de trouver le ton juste pour faire passer son message. Cette fois encore, elle utilise l’humour, fût-il décalé, ironique, absurde, pour instiller quelques réflexions sur des thèmes récurrents dans son œuvre : la liberté, les liens entre générations, la transmission.
Charlotte Wienstein est une jeune auteur qui ne trouve pas l’inspiration pour terminer (ni véritablement commencer, d’ailleurs) le roman romantique que son éditeur lui a commandé. Quand sa mère, Catherine, récemment veuve, vient s’installer avec piano et bagages dans son vieux duplex déjà sur-encombré, Charlotte décide qu’il est temps de changer d’air, en commençant par vendre l’appartement. Par ailleurs, elle cherche un petit appartement qui lui servirait de bureau et rencontre ainsi Samuel Popernick, agent immobilier. Les visiteurs se succèdent, chacun commentant à sa manière la disposition ou l’état de l’appartement tandis que Popernick et Catherine sont lancés dans une grande discussion...
Virevoltant, fringant, vif, gai, rempli de jolis numéros d’acteurs, Demain on déménage est un petit délice, l’occasion de voir Sylvie Testud dans une grande forme, à la fois énergique et dépassée, volontaire et résignée, parfaite maîtresse de maison et bordélique complète, tout cela à la fois, concomitamment toutes ces facettes et personnage unique. Quant à Aurore Clément, elle est parfaite en mère envahissante (jusque dans le lit de sa fille) et libre, plaintive et séductrice.
Et les idées fleurissent, dans les caractères des personnages (ceux d’Elsa Zylberstein, Jean-Pierre Marielle ou Natacha Régnier sont absolument délicieux), dans l’évolution du scénario, dans les ambiances (quoique se déroulant à notre époque, on a parfois une nette impression que l’on est dans les années 30), dans les choix de mise en scène, les combinaisons intérieurs/extérieurs, nous emmenant toujours plus loin dans ces petits plaisirs qu’il est parfois bon de retrouver au cinéma. Demain on déménage est un divertissement cinématographique intelligent, aussi les près de deux heures que dure le film ne paraissent-elles pas le moins du monde.
Date de sortie sur les écrans français : le 3 mars 2004.