Derek Kwok
Né en 1973 à Hong-Kong, Derek Kwok appartient à une nouvelle génération de cinéastes hong-kongais tentant de renouveler les formes d’un cinéma d’action moribond de l’ex-colonie. Sélectionné cette année dans la section Action Asia du Festival du film asiatique de Deauville 2009, son deuxième long-métrage, The Moss, après le remarqué The Pye-Dog (2007), lui a valu d’être nominé dans la catégorie meilleur jeune réalisateur lors de la 28ème cérémonie des Hong Kong Film Awards. Une occasion de mieux faire connaissance avec un talent prometteur.
Sancho : Pouvez-vous nous dire ce qui vous a amené à la réalisation ?
Derek Kwok : Quand j’étais plus jeune, j’étais étudiant aux beaux-arts et j’ai travaillé dans le design. Personnellement mes centres d’intérêts vont vers l’art, la musique et la littérature. Le cinéma a été pour moi un moyen de conjuguer toutes ces passions en une seule. Je n’ai jamais réellement suivi de cursus universitaire sur le cinéma, outre une formation pratique de scénariste et réalisateur qui a duré six mois. C’est à la suite de cet enseignement que j’ai commencé à travailler dans l’industrie du cinéma de Hong Kong comme scénariste tout d’abord, et notamment avec Wilson Yip (Skyline Cruisers, 2002, Dry Wood Fierce Fire, The Mummy, Aged 19, Leaving Me, Loving You). Je crois d’ailleurs fermement que le plus important pour la réussite d’un film reste son scénario. Puis progressivement, j’ai gravi les marches en devenant assistant réalisateur (Dry Wood Fierce Fire, Leaving Me, Loving You, Dragon Tiger Gate), avant de passer à la réalisation avec mon premier film, The Pye-Dog, en 2007.
Justement dans The Moss on remarque une véritable qualité d’écriture, dont l’originalité s’exprime par la superposition d’univers opposés.
Ce qui m’intéresse c’est le drame. Pour moi l’essence du drame réside dans un conflit, celui issu de la confrontation d’éléments contraires. C’est ce que je cherche à montrer dans mes films. Je m’intéresse davantage au drame vécu par mes personnages qu’à l’action pure. Je décris ici l’innocence et l’amour représenté par le monde de l’enfance à travers le personnage de la jeune cousine, qui se confronte à la violence de la société représentée par la prostitution et le crime. C’est de ce conflit que naît le drame dans mon histoire. Je prendrais comme analogie et comme modèle le film de Stephen Daldry, Billy Elliot (2000) dans lequel un jeune garçon issu d’une famille de mineurs décide d’apprendre la danse classique. Le conflit provenant ici de la confrontation entre la dureté du monde ouvrier et la grâce des cours de ballet. Mon questionnement cinématographique réside donc dans la recherche des moyens pour parvenir à exprimer au mieux l’essence de ce conflit fondateur de la dramaturgie.
D’où vous est venue cette idée d’utiliser une pierre précieuse comme fil conducteur du récit ?
Il s’agit de ce que l’on appelle en anglais une greenstone (une pierre d’émeraude). Lors de la première mouture du scénario cette idée n’était pas présente. Mais j’ai commencé à faire des recherches sur cette pierre et j’ai découvert que le pays dans lequel on extrait le plus de ces pierres était la Colombie. Cela m’a frappé qu’une pierre aussi pure et belle soit issue d’un pays aussi violent. C’est ce contraste qui m’a inspiré cette idée dans le film. Au début je voulais que tous les personnages du film se croisent parce qu’ils sont à la recherche de cette pierre, mais j’ai trouvé que cela manquait finalement d’intérêt. Aussi ce n’est pas vraiment l’émeraude qui est le fil conducteur de l’histoire, mais bien le fils obèse de la chef de gang jouée par Susan Shaw. C’est sa disparition qui est le point de départ du film.
Vous faites beaucoup appel aux métaphores dans votre film, notamment à travers la mousse.
Effectivement, j’ai eu cette idée toujours à travers mes recherches lors de l’écriture. Je lisais un article dans un journal, dans lequel un gangster se comparait à de la mousse en disant qu’il pouvait survivre n’importe où. J’ai donc pensé utiliser cette idée dans The Moss mais je trouvais qu’elle n’était pas encore assez développée, aussi j’ai voulu assimiler la mousse à l’ensemble de la communauté peuplant ces bas-fonds. Ils survivent qu’elles que soit leur condition, grâce à un formidable instinct de survie.
Je pensais aussi aux mauvaises herbes qui, à l’image de la mafia locale, repoussent sans cesse même si on continue à les arracher.
Oui c’est vrai que dans le film il y a un gang qui remplace l’autre, mais si vous regardez bien, à la fin du film tous les hommes meurent et seule les femmes restent en vie. La prostituée qui survit et qui est enceinte participe de la même métaphore. Comme la mousse qui ne s’arrête jamais de repousser, la communauté se développe et la vie continue malgré tout.
Finalement, malgré le côté très sombre du film, vous gardez une note d’espoir pour les générations à venir.
Cela me fait plaisir que vous souligniez cet aspect de mon film, car les spectateurs hong-kongais ont trouvé mon film triste et désespéré, et n’ont pas du tout perçu l’optimisme qui s’en dégageait. D’ailleurs je tiens à préciser que c’est là la principale différence entre le public Français et celui de Hong Kong. Si vous regardez bien la fin du film, la prostituée va donner naissance à un bébé, et le fils obèse qui avait disparu retrouve sa mère à la toute fin du film, lors des scènes que l’on voit entrecoupées du générique de fin. C’est donc un film avec happy end !
Dans The Moss il y a très peu d’extérieurs et vous accentuez le caractère étouffant du quartier de Sham Sui Po. Pourquoi cette démarche ?
En réalité j’ai tourné dans un quartier que je connais parfaitement car j’y ai longtemps vécu moi-même. Lorsque je vivais à Sham Sui Po, je n’avais pas envie de sortir à cause de la densité extrême de la population et du monde qu’il y avait dans les rues. C’est donc aussi cette impression que j’ai voulu restituer dans le film. Sham Sui Po est aussi un quartier particulier vu de l’intérieur. On y trouve quantité de petites ruelles et de couloirs très étroits, ainsi que des immeubles géants qui jouxtent de petites maisons. C’est une ambiance très particulière et unique de Hong Kong que j’ai voulu rendre à l’écran. J’ai beaucoup discuté avec mon chef opérateur pour pouvoir restituer au mieux cette atmosphère étouffante et poisseuse de façon réaliste.
Vous allez parfois très loin dans la représentation de la violence, avec un caractère bestial. On pense notamment au film de Pou-Soi Cheang, Dog Bite Dog (2006) et son tueur animal venu du Cambodge.
Pour moi la violence n’est qu’une méthode, et non une fin en soi. Tant qu’elle répond à une signification réelle, elle reste à mes yeux un outil cinématographique, et peut donc aller aussi loin que je le juge nécessaire. C’est la même chose avec la comédie qui est l’autre genre roi du cinéma de Hong Kong. Que l’on utilise le rire ou la violence cela reste un outil pour exprimer la force et la complexité des sentiments humains : l’amour, la haine, la passion...
Vous décrivez un phénomène nouveau avec la prise de pouvoir d’un gang par des indiens. On a l’impression qu’une nouvelle forme de criminalité perturbe l’équilibre des triades hong-kongaises.
D’une certaine façon cela correspond à une certaine réalité sociale. Dans le quartier de Sham Sui Po dans lequel j’ai vécu, il y a une importante communauté d’Asie du sud-est, dont des indiens. Ces immigrés vivent en général dans des conditions précaires, et tentent de se débrouiller par tous les moyens possibles. Par ailleurs, j’avais également un projet qui était de réaliser un film uniquement centré sur l’une de ces communautés. J’avais donc commencé à faire des recherches sur le sujet et à me documenter. Je me souviens avoir lu que la mafia hong-kongaise faisait appel à ces ressortissants comme hommes de main pour exécuter leurs basses besognes. Cette communauté était donc exploitée par la mafia locale, qui s’en servait un peu comme d’un paravent pour commettre des actes de petite délinquance ou des crimes. Malheureusement je n’ai trouvé aucun producteur pour financer ce projet, j’ai donc décidé de réutiliser cette idée dans mon film.
De façon plus générale, comment définiriez-vous l’esthétique de votre cinéma ?
Je suis très influencé par les films en noir et blanc. On me dit souvent que mes films sont très sombres, mais pour moi le cinéma c’est avant tout l’ombre et la lumière. En Chine il existe un jeu traditionnel, une toupie avec des motifs noirs et blancs imprimés : lorsqu’on la lance et qu’on la fait tourner au sol, elle devient toute grise. C’est donc ce principe que j’essaye d’exprimer dans mon cinéma en faisant varier ces deux éléments pour traduire les nuances et les contrastes des émotions de mes personnages. Pour moi c’est ça l’essence du cinéma. Je pense qu’il y a aussi des couleurs dans le noir et blanc, et pas uniquement du noir et du blanc. C’est un peu comme le principe chinois du yin et du yang, ces deux catégories que l’on peut retrouver mélangées dans tous les aspects de la vie et de l’univers. Aussi j’apprécie particulièrement les films de ce qu’on appelait “la nouvelle vague hong-kongaise” pour leur variété et leur richesse expressive. C’est ce que je tente de faire aujourd’hui en apportant un soin tout particulier au scénario. Nous avons dans la littérature chinoise traditionnelle une source inépuisable de drames dans laquelle il est possible de puiser pour se renouveler, tout en gardant notre propre expression.
Interview réalisée en compagnie de David Auvray, journaliste pour Dvdrama.
Traduction : Yaxiong Sun
Photos : Kizushii

