Door
Guess who’s coming to dinner...
Yasuko Honda, femme au foyer trentenaire, vit avec son mari Satoru et son fils Takuto une vie de famille paisible et sans histoire. Il arrive cependant qu’elle se sente seule dans son grand appartement... Depuis quelques jours, Yasuko reçoit d’étranges coups de téléphone provenant d’un VRP qui semble vouloir lui faire croire qu’elle a gagné le gros lot ; la tête sur les épaules, elle l’envoie bouler sans sommation. Mais au fur et à mesure que le temps s’écoule, les appels de l’homme se font de plus en plus réguliers, jusqu’au jour où il tente d’entrer dans l’appartement de force... mais la chaîne de sûreté de la porte l’en empêche, et l’homme a tout juste le temps de lâcher une brochure publicitaire avant de se voir coincer les doigts dans la porte par une Yasuko aussi furieuse qu’apeurée. Dès lors, d’étranges évènements se mettent à parsemer le quotidien de cette petite famille - bien tranquille ?...
Door... sous ce titre à la fois énigmatique et infiniment ouvert (évidemment...), se cache un long-métrage réalisé par un homme plutôt éclectique à la tête de quatre-vingt-un films, Banmei Takahashi - crédité ici Tomoaki Takahashi - (Tattoo Irezumi Ari !, Hikari no Ame), mais surtout produit sous l’égide de la Director’s Company (créée par Shinji Sômai - Kaza-Hana - et Kazuhiko Hasegawa - Taiyô wo Nusunda Otoko), chantre nippon de l’ "auteurisme-mainstream" cinématographique dans les années 80... Mais alors, quel est donc cet étrange film dont on ne sait rien, hormis qu’il est le premier d’une trilogie dont le dernier volet fût réalisé huit ans plus tard par un certain Kiyoshi Kurosawa ?!... c’est la question que l’on peut se poser pendant un bon paquet de minutes en visionnant ce Door qui, il faut bien l’avouer, met un certain temps à se révéler sous son véritable jour...
Lorsque cet intrus fait irruption dans la vie de Yasuko (excellente Keiko Takahashi), il chamboule une sorte de train-train quotidien que rien ni personne ne semblait remettre en cause... ça vous rappelle quelque chose ? Oui, forcément ; l’élément extérieur et perturbateur qui devient le vecteur déclencheur d’une prise de conscience est l’un des thèmes récurrents du cinéma mondial, du Théorème de Pier Paolo Pasolini au Visitor Q de Takashi Miike... Door pointe du doigt les travers de la société moderne ; ainsi, lorsque Yasuko crie de tout son saoul sa détresse, personne ne lui vient en aide, comme si elle se trouvait dans un endroit désert.
Surréaliste, est sans nul doute l’adjectif qui définisse le mieux le film de Takahashi, qui choisit de ne filmer de face que ses quatre personnages principaux - Yasuko, son mari, son fils et l’intrus -, transformant les habitants de la résidence en présences inquiétantes, sans tête, sans visage ni expressions, sans voix... des corps quasiment inertes (voir la femme de l’escalier) et totalement déshumanisés. Cette plongée dans un univers fantastique se fait lentement, mais bel et bien de manière habile par le réalisateur qui en profite pour glisser dans sa mise en scène - à priori classique - des éléments qui vont soudainement tout faire basculer, jusque là où on ne l’attend pas...
A mi-chemin entre le direct-to-video et le long-métrage classique, Door semble se lover de manière plutôt complaisante entre deux eaux ; du film d’auteur à message au pur produit horrifique il n’y a qu’un pas... Banmei Takahashi le franchit allègrement dans les vingt dernières minutes en se tournant volontairement - et violemment - vers un aspect carrément gore, n’ayons pas peur des mots, sans tabou ni fausse pudeur, transformant cette critique acerbe de ses congénères en un joyeux foutoir où un petit garçon se bat à coup de patins à roulettes contre un psychopathe armé d’une tronçonneuse !...
...sans les idées on ne peut plus originales de mise en scène issues de l’esprit de Banmei Takahashi (le parti pris sur le son est d’une rare inventivité), Door avait tout pour devenir une sorte de sous-produit filmique aussi banal qu’inconsistant... mais l’expérience parle d’elle-même - Door est son soixantième film ! -, et en évidente prémisse à bon nombre de films qui suivront, ce premier "épisode" des trois portes s’impose en un film singulièrement différent, dans lequel tension, humour décalé, horreur et contestation pamphlétaire s’imbriquent les uns aux autres et dans tous les sens... allez, vive les battes de baseball et les petits nippons !
Disponible en VHS (NTSC), chez VideoGraph/Tohokushinsha au Japon.
Article initialement paru le 1er juin 2004, mis à jour à la sortie de Door 1 & 2 en Blu-ray chez Carlotta Films.



