Dragon Inn
Pendant la période des Qin, le général Xu, accusé de trahison, est condamné à la décapitation par l’empereur. Ses deux fils et sa fille sont envoyés en exil aux marches de l’empire, à l’auberge du dragon. Mais l’eunuque à la tête de l’officine secrète Dongchang, chargée des basses besognes de l’empereur, préfèrerait s’en débarrasser pour éviter ultérieurement des troubles. L’intervention impromptue d’un bretteur empêche ses spadassins d’accomplir leur forfait. L’eunuque se résout donc à envoyer une escouade de ses affidés pour trucider les enfants lors de leur arrivée à l’auberge du dragon. Mais ils vont devoir affronter les partisans du général Xu qui souhaitent les libérer.
Dragon Inn est une œuvre emblématique du cinéma des arts martiaux des années 60. Elle a fait l’objet de deux remake en 1992 et 2011 sous la supervision de Tsui Hark, tandis que Tsai Ming Liang lui a rendu hommage dans Goodbye, Dragon Inn.
Réputé pour son perfectionnisme, King Hu a quitté l’usine à films qu’est la Shaw Brothers après le succès de L’Hirondelle d’or pour obtenir une plus grande liberté artistique. Le réalisateur chinois met en scène un nouveau film de Wu Xia Pian, c’est-à-dire de cape et d’épée. L’expression anglo-saxonne cloak and dagger correspond mieux aux films de King Hu, tant celui-ci est friand des personnages d’espions.
Les personnages de Dragon Inn sont des figures du genre, en particulier celle du chevalier errant qui utilise ses dons martiaux quasiment surnaturels pour combattre la tyrannie. Le chevalier fait ici la démonstration de son extraordinaire habileté en projetant son plat de nouille à travers la pièce vers une table où il atterrit sans une fêlure. Même si les sbires de l’eunuque tentent de le tuer, il fait preuve de magnanimité, pour cette fois-là... Cette scène est similaire à la première séquence dans l’auberge dans [L’Hirondelle d’or où Chang Pei-pei rosse des malandrins.
Dragon Inn est composé de deux parties pratiquement égales. La première se déroule pour l’essentiel à l’intérieur de l’auberge. Les partis en présence s’épient, se jaugent, essayent de s’identifier... La seconde moitié du film est consacrée à l’affrontement à proprement parler. Les partisans du général Xu tentent de s’échapper dans de magnifiques paysages de montagne, qui deviendront l’une des signatures du réalisateur dans ses films ultérieurs : Touch of Zen, Raining in the Mountain...
Cette auberge isolée a des airs de ville frontière de l’ouest américain. Cette impression est renforcée par les sons d’ambiance, qui semblent sortis des films de Sergio Leone. Les deux réalisateurs ont été influencés par le chambara (films de sabre japonais.), la réponse se trouve peut-être là. Ils possèdent aussi comme point commun d’être deux grands cinéastes formalistes.
Pour les scènes de combats, King Hu ne se pique pas de réalisme. Elles sont stylisées, théâtrales, puisant leur inspiration, selon les connaisseurs, dans l’opéra de Pékin, dont King Hu est un amateur depuis sa jeunesse. L’Hirondelle d’or est adapté d’une pièce de l’opéra de Pékin, Le Héros ivre. Cette influence se ressent particulièrement dans Dragon Inn, par l’utilisation de la musique à base de percussion pour marquer le rythme de l’action.
Dragon Inn revêt une importance particulière en raison de l’évolution stylistique de King Hu dans sa manière de mettre en scène les combats. Finies les scènes où il passe d’une action de combat en l’interrompant par une coupe nette pour nous montrer une nouvelle phase de l’action. Le réalisateur n’hésite plus désormais à éliminer, au choix, certaines images au début, au milieu ou à la fin de l’action. Résultat, l’action "claque" : l’impression de vitesse et la dynamique sont multipliées. Il est fort possible qu’il ait ainsi donné naissance au style de montage qui fera la grandeur des films d’actions de Hong Kong des années 80 et 90.
Mais l’art de King Hu réside dans sa capacité à combiner cette technique de montage, avec son bluffant sens du cadrage et du rythme. L’élégance du déplacement des personnages est un autre attribut de son style. Grâce à des trampolines dissimulés dans les décors, Han Yingjie, qui joue l’une des âmes damnées de l’eunuque, mais est aussi le directeur des combats, nous offre quelques belles démonstrations.
Le réalisateur perfectionnera son style dans son film suivant, Touch of Zen. King Hu atteindra alors la plénitude de son art.
Dragon Inn a été projeté à la Cinémathèque Française dans le cadre de la rétrospective King Hu, qui s’est y tenue du 8 au 27 février 2012.