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Japon

Eijanaika

Japon | 1981 | Un film de Shohei Imamura | Avec Ken Ogata, Shigeru Izumiya, Masao Kusakari, Kaori Momoi, Shigeru Tsuyuguchi.

"1 Qu’est-ce que le Tiers-Etat ? Tout.
2 Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien.
3 Que demande-t-il ? A être quelque chose.
"
(Sieyès, 1789)

Comme de nombreux films historique japonais, Eijanaika (Pourquoi pas), se déroule à la fin de la période Edo, époque d’affrontements entre les « anciens » et les « modernes ». Les uns souhaitent faire rentrer le Japon dans l’ère industrielle et les autres préserver la tradition. Cette période de tumulte politique, de complots, fournit une riche matière scénaristique au cinéma japonais. Mais à la différence de films comme Samourai d’Okamato, récemment distribué en DVD, Imamura ne se focalise par sur la classe des guerriers et de la noblesse, mais comme à son habitude sur les laissés pour compte.

Eijanaika s’ouvre et se ferme sur une même image : un personnage étreint le sol et s’approprie le Japon. Après 6 ans d’absence, Genji s’allonge sur la plage où il vient de débarquer et confectionne à l’aide du sable une poitrine féminine dans laquelle il enfouit son visage. Au cours de ces années, Genji a goûté à la liberté en Amérique, mais il ne pouvait plus vivre sans sa femme, Iné. Il revient au Japon, avec l’intention de l’emmener Outre Pacifique afin de lui faire partager cette expérience. Cette volonté symbolise ce même désir d’Immamura pour le Japon, incarné par Iné.

Etant donné son vécu extraordinaire pour un japonais de cette époque, Genji occupe une place privilégiée au sein du film, non pas en tant que héros, mais de témoin. C’est la foule, le peuple japonais qui est le véritable « héros » d’Eijanaika. Film de foule, Imamura conserve souvent sa caméra à distance lors des scénes intimistes. Le nombre important des personnages pourra d’ailleurs perdre un peu le spectateur européen. Le réalisateur a disposé d’importants moyens, mais jamais la recontitution historique ne vient pétrifier le film. De toute façon, ce n’est pas le genre du réalisateur.

Imamura dénonce la manipulation dont fait l’objet le peuple japonais de la part de l’aristocratie nippone, secondée par les yakuzas. Les différents clans cherchent à faire avancer leurs intérêts en poussant le peuple à la révolte. Aux calculs de la noblesse, Shohei Imamura oppose la soif de vie du petit peuple.

Le film présente une véritable cartographie des différentes catégories sociales du Japon. Les quartiers des plaisirs où se déroule l’essentiel de l’action sont délimités par la rivière et gare à la foule si elle décide de manifester au-delà de cette frontière naturelle. Le chef yakuza doit se contenter de marcher en contre-bas de la promenade extérieure de la maison où se déplace l’aristocrate, lorsqu’il vient prendre ses ordres. Quant aux samouraïs, Imamura montre son mépris pour eux. « Les samouraïs se croient supérieurs, ce ne sont que des assassins » résume Genji... Pas de combats chorégraphiés, pas de glorification du geste martial, juste un sabre qui transperce un corps : un meurtre tout simplement.

Shohei Imamura nous livre encore une fois une oeuvre, où il laisse libre cours, pour notre plus grand plaisir, à son goût pour la truculence. Liberté, crudité du ton et des scènes, profusion d’images hautes en couleur sont au menu. Et forcément, il ne peut y avoir de liberté et de joie sans sexe. Au lieu de le traiter comme un évènement exceptionnel, comme trop souvent au cinéma, le metteur en scène le présente comme acte normal de la vie, au même titre qu’un bon repas. A la force par la joie de triste mémoire, il préfère la révolte par la joie. Le film culmine sur la révolte populaire emmenée par des danseuses de french cancan dans des tenues bigarrées ! Les couleurs éclatent, la foule s’époumone en chantant « Eijanaika » , elle remplit l’écran, le déborde parfois comme elle déborde les yakuzas qui l’ont manipulée.

Le peuple japonais sera toujours là, et comme le dit Iné pour conclure le film : « Je n’arrêterai jamais Genji ».

Eijanaika est sorti aux côtés de La Vengeance est à moi dans un coffret de deux DVD consacré à Shohei Imamura, chez MK2. Sur le disque, on trouvera le film dans une copie très correcte accompagné d’une brêve introduction de Charles Tesson sur le film et sur Shohei Imamura. En quelques minutes, ce spécialiste du cinéma japonais nous donne juste ce qu’il faut d’informations afin de mieux « se glisser » dans le film. En complément, cette introduction est approfondie au cours d’une discussion classique de cinéma entre Charles Tesson et Hubert Niogret, historien du cinéma et très bon connaisseur du cinéma asiatique. Le dernier bonus est constitué de 9 scènes du film commentées par Charles Tesson sur des sujets et des symboles clés du film, mais également de l’oeuvre d’Imamura : l’eau, le sexe, les dieux et les hommes... MK2 a fourni une édition DVD de qualité, qui permet de mieux appréhender ce film d’Imamura, sans pour autant noyer l’acheteur sous trois heures de bonus, qu’il ne regardera sans doute jamais.

- Article paru le mercredi 9 novembre 2005

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