El Mudo
Le juge Constantino Zegarra n’est pas le plus affable des hommes, froid, rigide et enclin à mettre tout le monde derrière les barreaux, sans faire cas de leurs suppliques. Le zèle ne fait pourtant pas tout : le voilà destitué du jour au lendemain, sans qu’on en connaisse la raison. Et, alors qu’il rentre chez lui, Zegarra se fait tirer dessus, une balle traversant sa gorge pour donner son titre au film des frères Vega : El Mudo - « le muet ». Notre juge, cet homme dénué d’écoute, tout en paroles et sentences, lui qui non seulement sait, mais sait que tu sais, voire sait que tu sais qu’il sait, se plaisant ainsi à couper la parole à ses interlocuteurs – condamnés et familles en appel certes, mais aussi femme et fille – autant qu’à projeter ses mots dans leurs bouches, se retrouve incapable ne serait-ce que de les prononcer pour lui-même. Alors que la police pense à une simple balle perdue, Zegarra, obsédé, cherche à résoudre le mystère de ce qui est de toute évidence à ses yeux, une exécution échouée.
S’il y a, parmi d’autres, une chose que j’apprécie au Festival des 3 Continents, c’est le voyage que ses programmateurs nous permettent d’effectuer : cette année, nous sommes passés par le Japon, la Chine, l’Iran, la Corée du Sud, la Thaïlande, la Birmanie, le Kazakhstan... et, une fois n’est pas coutume, par le Pérou, d’où nous vient El Mudo. Le film place son action dans la capitale du pays, Lima, ainsi que dans la petite ville de Mala, où notre héros, une fois destitué, doit poursuivre son office administrative. A l’écran, ce sont, comme dans beaucoup des films en compétition cette année, les personnages qui l’emportent sur les lieux, ou plutôt devrais-je dire « le » personnage. Constantino Zegarra, impressionnant Fernando Bacilio, écrase les autres protagonistes, par les mots autant que par les attitudes, condamnant sans cesse, par la parole ou le regard, proches et inconnus, au nom d’une droiture qui l’autorise visiblement à façonner son monde à son image : contrôler les fréquentations de sa fille, repousser l’influence de son père, s’imposer à sa femme.
Dés que la voix s’éteint toutefois, la réalité de cet univers de mots, et non pas d’échanges, s’effrite. Et en premier lieu sa relation de couple, même si nous en sommes seuls témoins, puisque madame a tôt fait de se reconnaître adultère face à l’enquête de la police. En dépit de sa prestance, et d’un regard qui n’a rien perdu de sa force, Zegarra perd peu à peu son emprise sur le système, sur son père, sa femme et sa fille, qu’il se retrouve contraint d’écouter. Et s’il reste obsédé par l’idée de condamner – quitte à ce que ce soit à tort, certain de connaître l’identité de son bourreau – c’est au prix de son intégrité monolithique.
Le grand intérêt d’El Mudo réside certes dans la qualité de son interprétation, mais aussi dans sa façon de laisser progressivement la place, autour de la figure de Zegarra, aux autres personnages, d’éteindre une voix pour en laisser poindre d’autres. Le parcours de cet homme, du monologue intempestif à l’écoute forcée, autant que l’affirmation progressive de sa femme et de sa fille, possède un charme certain, mais n’est toutefois pas exempt de défauts. Le film s’étire notamment un peu en longueur, lorsque, le chemin de la reconstruction effectué, El Mudo n’a plus grand chose à raconter mais se plaît à regarder le nouvel équilibre qui s’est construit autour, non pas de son personnage cette fois, mais de l’ensemble de ses protagonistes. La résurgence de la figure maternelle – autrefois assassinée - en guise de rédemption m’a paru inutile ; globalement toutefois, El Mudo reste une rencontre attachante.
El Mudo a été présenté lors de l’édition 2013 du Festival des 3 Continents (Nantes), en compétition officielle.
Remerciements à l’équipe des 3 Continents.



