Emergency Act 19
L’un des risques que comporte l’exploration d’un cinéma étranger est celui de ne pas posséder certaines données nécessaires à sa compréhension. Si les cultures visuelles et narratives d’un pays donné peuvent s’appréhender par habitude, qu’en est-il de son actualité "interne", de ses figures populaires qui ne le sont néanmoins pas assez pour franchir ses frontières ? Vous pensez que les Coréens seraient à même de comprendre une émission consacrée aux Legislatives françaises version Guignols de l’info ? C’est un peu le problème que pose un film comme Emergency Act 19. Nous allons voir toutefois que cela n’aurait pas dû être le cas...
Le point de départ du film de Kim Tae-Gyu est pourtant bon - excellent même. Dans un futur plus ou moins proche, les postes-clefs des gouvernements ont été confiés, de par le monde, à des chanteurs célèbres : Madonna est en passe de venir Vice-Présidente des USA aux côtés du Président Jackson, Paul MacCartney est Premier Ministre en Angleterre et j’en passe. Une situation qui fait frissonner les dirigeants coréens, car un scrutin approche et les hommes en place redoutent les candidatures de grandes figures de la "K-Pop". Qu’à cela ne tienne : le Général des armées décrète le "Emergency Act 19", qui vise non seulement à l’arrestation de tous les chanteurs du pays, mais aussi à l’interdiction de la musique sur le territoire. Toute personne qui chantera ou écoutera de la musique sera passible de sanctions graves. Chanteurs, boys-bands et girls-bands célèbres font rapidement les frais de cette mesure d’urgence. Seuls Hong Kyung-Min et Jang-Hun (dans son propre rôle, puisque qu’il s’agit visiblement d’un chanteur célèbre en Corée) parviennent à échapper au filet des forces de l’ordre, avec l’aide la présidente du Fan Club de Jang-Hun, Kong Hyo-Jin - qui n’est autre que la fille du Général commanditaire. Ensemble, et aidés de jeunes "révolutionnaires", ils vont tenter de tenir tête au gouvernement et à l’armée...
Le précepte de Footloose élevé au rang national par le biais de l’équivalent d’un "BR Act" (cf. Battle Royale) : il y avait pourtant matière à fournir un film passionnant. Dès les premières images de Emergency Act 19 cependant, quelque chose susurre au spectateur que ce ne sera pas le cas. Peut-être est-ce cette intro parfaitement inutile en forme d’hommage (plutôt mal monté mais rigolo) à Matrix, ou encore les combats qui interviennent sans raison à chaque arrestation d’une nouvelle star. Rapidement, cette approche s’estompe puis est rendue obsolète par un discours qui n’est que celà : des mots. La musique, de sujet, ne devient même pas toile de fond mais tout simplement absente, alors que les scènes d’actions précédentes se révêlent être injustifiées et sans suite. Le héros/acteur principal, supposé être chanteur, ne pousse même pas une seule fois la chansonnette de tout le film !
Plutôt que d’orienter son film vers un divertissement à grande échelle, aux allures de Pump Up the Volume militarisé, Kim Tae-Gyu s’enlise dans un jeu de références, que le public étranger ne peut malheureusement pas comprendre. Il serait injuste de ma part d’axer ma critique autour de cette incompréhension, puisque qu’un film a bien le droit de s’adresser exclusivement à son pays d’origine. Je pense néanmoins que même les spectateurs coréens ont dû être agacés par la démarche moralisatrice incohérente du réalisateur : passé l’amusement procuré par des caméos que l’on devine extrèmement nombreux, le film vit de scènes sans véritables liens, qui n’ont pour but que de réunir maladroitement une fille et son père, et - de façon métaphorique peu subtile - un peuple (des enfants) et son gouvernement (une figure patriarcale).
A plusieurs reprises, on se surprend tout de même à apprécier certains personnages, notamment celui de Kyung-Min qui bénéficie d’une introduction agréable, mais n’est jamais exploité. En fait, Emergency Act 19 se voudrait une déclaration d’amour vigoureuse envers la musique et son pouvoir, la liberté qu’elle procure à tous ceux qui peuvent en jouir librement. Mais comment défendre la musique sans jamais l’utiliser ; pire encore : sans jamais mettre à profit ceux qui la réalisent et nous la transmettent ? La déclaration potentiellement intéressante - car jouissivement excessive - devient donc un pamphlet mal mené, aboutissant à un film d’anticipation rétrograde, qui donne parfois au spectateur un aperçu de ce qu’il aurait pu être (au début de certaines scènes d’émeutes notamment).
Dommage que le film n’ait pas su jouer la carte d’un second degré plus ouvertement mercantile, à la manière par exemple du méconnu Josie and the Pussycats. S’il y avait eu ne serait-ce qu’une séquence se rapprochant du clip opportuniste des Da Pump dans l’excellent Andromedia de Takashi Miike... En tant que tel, pour un spectateur occidental, il ne peut rester qu’un tas de "private jokes", et par conséquent trop peu de choses pour justifier d’un quelconque intérêt pour Emergency Act 19.
Emergency Act 19 est disponible en DVD coréen chez StarMax.


