Epouses et concubines
La jeune fille et la mort.
Même si Zhang Yimou, grand ordonnateur de la cérémonie des Jeux olympiques de Pékin, est devenu en quelque sorte le cinéaste officiel de la République populaire de Chine, il occupe pour moi une place à part parmi les réalisateurs asiatiques. Il est le passeur qui a réuni mes deux passions : le cinéma et l’Asie. Je ne me rappelle plus en quelle année, mais la vision du Sorgho rouge, diffusé sur Arte, est l’un de mes plus forts souvenirs de cinéma. Le féroce final m’avait frappé.
Agée 19 ans, Songliang doit interrompre ses études suite au décès de son père, faute de moyens financiers. Elle accepte de devenir concubine, rejoignant le gynécée de maître Chen où vivent sa femme et deux autres concubines. La plus ancienne est délaissée par le mari, qui peut aussi choisir parmi une ancienne chanteuse d’opéra, un peu plus âgée que Songliang, et une autre femme entre deux âges. Pratiquement coupées de l’extérieur, les trois femmes se disputent les faveurs de leur mari. Celle dont le maître a choisi la couche devient pour un temps la maîtresse de maison et dispose de prérogatives particulières. Suivant une tradition familiale, la présence de Chen est signalée par les lanternes rouges accrochées dans la cour de l’élue (à la même époque, une lanterne rouge signalait les bordels à Paris). Mais leur situation est précaire, la femme n’a de valeur qu’en tant que génitrice de l’héritier mâle, qui assurera la perpétuation de la lignée familiale.
Epouses et concubines rappelle à certains égards Hara-Kiri de Masaki Kobayashi. Ces deux œuvres fortes possèdent comme point commun d’avoir pour sujet des traditions rétrogrades : les concubines dans le premier et le seppuku dans le second. Elles accordent également beaucoup d’importance au rôle des décors. Le destin des protagonistes se lit sur l’écran.
Dans le film de Zhang Yimou, chaque épouse possède ses propres quartiers, donnant sur une cour rectangulaire, d’où la seule perspective est une cour identique. Le réalisateur rejette le ciel au bord du cadre, le château dans lequel elles vivent prend des airs de prison. Il possède même une sorte de donjon.
Comme à son habitude, Zhang Yimou, qui doit son entrée à l’académie du cinéma de Pékin à son book de photos, privilégie une couleur. Le rouge bien sûr - certaines des images du film sont parmi les plus célèbres du cinéma chinois contemporain - mais aussi le bleu de la glace lorsque l’histoire prend un tour dramatique. Le réalisateur chinois s’est souvent fait reprocher l’esthétique glacée de ses films. Ici, elle colle parfaitement au sujet.
J’avais gardé un profond souvenir de la violence d’Epouses et concubines. Il n’y a pas d’explosion de violence, c’est une violence psychologique qui contamine peu à peu les personnages. Dans ce monde clos, que nous fait ressentir si bien le réalisateur, et perclus par ses traditions surannées, chacun rejette sa frustration sur l’autre, servante ou concubine. Cette cruauté dans les rapports humains est ainsi d’autant plus insupportable.
Avec Songliang, Zhang Yimou offre à Gong Li, sa compagne d’alors, son rôle de femme tragique le plus célèbre. Arrivée seule au seuil de la maison, elle refuse l’aide du majordome qui veut porter sa valise. Elle montre ainsi son caractère affirmé qui se confirmera par la suite. L’air hautain et bravache du personnage dans la première partie du film sied à merveille à la madone du cinéma chinois.
Epouses et concubines a récemment été édité en DVD et en Blu-ray par D’Vision, en même tant qu’Adieu ma concubine de Chen Kaige.
Remerciements à Inès Alez-Martin.




