Eric Khoo
Quelques mois après avoir été bien accueilli à Cannes, My Magic d’Eric Khoo vient de sortir sur les écrans français. Un film sur la relation entre un père et son fils, mais aussi, comme nous le raconte le réalisateur singapourien, une histoire de famille et d’amitié. Ne vous fiez pas au caractère mélancolique de ses films et à son air sérieux sur les photos, Eric Khoo a plus d’un tour dans son sac. En effet, il ambitionne depuis plusieurs années de réaliser un film de zombies. Et ce n’est pas Akatomy qui s’en plaindra.
Sancho : Quelle est la genèse du film ?
Eric Khoo : My Magic est né de mon amitié avec Francis Bosco. Je l’ai rencontré il y a dix ans lors d’une soirée où il réalisait ses numéros. Il crachait du feu. Je me suis dit que je devais faire sa connaissance. Au cours des années, notre amitié s’est développée et souvent devant un verre, je lui disais qu’il faudrait que je le filme un jour. Il possède ces yeux et il est capable de faire cette étrange magie. Le déclic s’est produit il y a deux ans. Je voulais tourner un film à propos de la relation entre un père et son fils. Je souhaitais également faire un film que mes enfants puissent apprécier. Ils trouvaient mes films précédents trop lents et ennuyeux. Mes enfants ont été mes premiers critiques. Je leur ai montré le premier montage et il m’ont dit qu’il s’agissait de mon meilleur film. Il m’ont quand même dit que je devais changer ceci ou cela. J’ai dit OK.
Pourquoi avez-vous associé ce thème et Francis Bosco ?
J’ai été attiré par sa personnalité. J’étais bien sûr fasciné pas ses tours, comme le jour où il a mangé un verre dans un bar. Mais parfois il m’appelait aussi en pleurant car il était déprimé ou en colère contre ce monde cruel. Nous avons aussi eu beaucoup de conversations qui m’ont conduit d’un point de vue du subconscient à faire My Magic. Je n’aurais jamais écrit ou réalisé ce film si je n’avais pas fait la connaissance de Francis.
Comment avez-vous écrit le scénario avec votre ami journaliste, Wong Kim Hoh ?
Je lui ai présenté une structure et des idées et il les a mises sous la forme d’un script avec les scènes et les dialogues. L’actrice qui joue la prostituée dans le film l’a ensuite traduit de l’anglais en tamoul. Ce que l’on retrouve dans le film a été mis au point lors d’un atelier. Francis n’avait jamais joué dans un film auparavant et le petit garçon n’avait eu que de petits rôles. En outre, il est parfois impossible de traduire directement de l’anglais en tamoul.
Vous aviez déjà collaboré avec Wong Kim Hoh sur vos deux derniers films, que vous apporte-t-il ?
La plupart des dialogues car je suis trop fainéant pour les écrire. Je viens avec le crâne, la cage thoracique et lui il apporte les organes.
Comment s’est déroulé cet atelier ?
Il a duré environ trois jours. Je filmais Francis et le garçon récitait leurs dialogues d’une façon puis d’une autre jusqu’à ce qu’il soit à l’aise. Ensuite je réalisais un montage pour que Francis puisse les voir. Un peu comme un devoir de maison. Sur le tournage, à la différence de Be with me où je disposait d’un storyboard et je travaillais étroitement avec mon directeur de la photographie, j’ai dit à ce dernier que je n’avais pas besoin de lui en avance sur les lieux du tournage. Je lui ai demandé de simplement « sentir » l’espace et de commencer à filmer afin d’obtenir une atmosphère plus spontanée. Même au niveau de l’apparence du film, je ne voulais pas qu’elle soit trop jolie. Je souhaitais qu’elle soit un peu crue.
Une des choses qui m’a frappé est que votre film est court et raconte une histoire simple, à l’opposée de la tendance actuelle.
Mon premier montage durait 85 minutes, mais mes fils me l’ont fait raccourcir. Il y avait certaines scènes répétitives, notamment des tours de magie. Je ne voulais pas non qu’il soit trop démonstratif. C’est un film simple, mais vous le suivez car vous découvrez de nouveaux éléments. Il vaut mieux moins montrer que trop montrer.
Votre fils de dix ans a composé une partie de la musique.
Mon fils est curieux et quand j’écrivais des e-mails à Wong Kim Hoh, il les lisait. Puis il a commencé à me poser des questions même avant le début du tournage. Pourquoi ceci, pourquoi cela... Il est assez intuitif. Parfois je montre certaines choses dans le film sans donner d’explications, même si je les connais. Et quelque fois, il est nécessaire de les donner. Par exemple, la vieille maison à la fin du film où Francis garde tous ses souvenirs, mon fils m’a suggéré qu’il s’agissait de l’endroit où le magicien était tombé amoureux de sa femme. Ce qui donnait une dimension supplémentaire à la scène.
A chaque fois que je tourne un film, j’écoute certaines chansons pratiquement en boucle. Pour Be with me, j’écoutais l’album Smile de Brian Wilson des Beach Boys. Pour My Magic, j’écoutais une chanson du film Once qui se déroule en Irlande. Après avoir tourné mon film, mon fils a joué une mélodie au piano et je lui ai demandé qui l’avait écrit car il n’avait jamais composé avant. Il m’a dit que c’était lui. Je lui ai demandé si je pouvais l’utiliser et il m’a répondu, bien sûr. C’est drôle parce que ce soir là je devais rencontrer mon ingénieur du son et l’ami qui compose la musique de mes films.
J’ai lu que le roman de Cormac Mac Carthy, La route, a été l’une des sources d’inspiration du film. Êtes-vous inspiré par d’autres écrivains ?
A vrai dire, je ne lis pas beaucoup. Mon producteur m’a donné ce livre car depuis longtemps je veux réaliser un film de zombies et qu’on y parle de cannibalisme et de toutes ces choses. Finalement, il m’a plus inspiré pour l’histoire entre un père et son fils sur laquelle je voulais travailler. Je savais déjà comment allait être la structure du film, mais elle n’existait encore que sous la forme d’idées. Ce qui m’a particulièrement plu dans La route, c’est l’idée de sacrifice de soi, du don. En outre, l’histoire est racontée simplement, presque comme une fable. Dans ce sens, il m’a conduit à adopter la même philosophie pour My Magic.
Concernant le film de zombies, c’est un projet qui date de plus de 10 ans. Francis aura sûrement un rôle dans ce film s’il se fait. Ce sera un film satire politique. Il s’agira de se moquer de Singapour et pourrait s’appeler Zombie State. Dans les films de zombies, vous vous transformez en zombie quand l’un d’eux vous mord. Dans le mien, la transformation interviendra après avoir couché avec un zombie. Le principal agent d’infection sera une hôtesse de Singapore Airlines. Vous connaissez la compagnie aérienne : une extraordinaire façon de voler. Une extraordinaire façon de baiser.
Votre vision de la société dans vos deux derniers films est assez sombre. C’est votre vision du monde actuel ?
A Singapour, quand des personnes sont emprisonnées, elles reçoivent encore des coups de bâton. Et à la première frappe, votre peau se déchire et vous en conservez la trace. Nos prisons sont presque surpeuplées car on vous y jette pour le moindre délit. Il n’y a pas de pardon. J’en ai parlé avec Wong Kim Hoh et c’est un des sous-textes du film. La scène où Francis se fait battre était une manière de parler des punitions corporelles à Singapour.
Avec quelle idée ou quelle image en tête, voudriez-vous que le spectateur sorte de la salle ?
Avec celle de la dernière scène. J’avais le film en tête, mais il me manquait la fin. Je l’ai trouvée vers la moitié du tournage, un soir que nous buvions et discutions tous ensemble comme nous avions l’habitude de le faire. Je voulais aussi que le film se termine sur une note de magie, sur une touche douce-amère. Je voulais une fin qui permette au spectateur de ne pas se sentir trop mal à l’aise au sortir de la salle. Lui donner une vision plus large des choses, comme la vie.
Remerciements à Matilde Incerti et Audrey Tazière. Photos d’Eric Khoo : Kizushii.

