Eros plus Ruins
Une femme traverse un rideau d’arbres, hésitant entre la promenade et l’errance, jusqu’à ce qu’elle se retrouve devant un immense bâtiment industriel, tombé en ruines et désormais en proie à la végétation. Seule dans ces lieux, elle se rapproche de la structure, en fait le tour, puis se rapproche, entre en contact avec la pierre. En quête d’elle-même, la femme s’efface, rejetant ses biens matériels, son maquillage, sa propre apparence ; s’abandonne au côté primitif de cet endroit hors du temps, magnifique et morbide à la fois, choisit de s’y noyer. La femme trouve alors une effrayante poupée à l’apparence humaine, celle d’une jeune fille, dénudée et disloquée. Elle se laisse toucher par cet ersatz d’enfant qui l’emmène toujours plus loin dans l’abandon de soi. Notre promeneuse finit par s’offrir, au bâtiment comme à la nature, mêlant sa féminité au potentiel dual du lieu, à la fois espace de renaissance et de mort...
A première vue, Eros plus Ruins ressemble à s’y méprendre à l’un de ces opus vidéo chers aux japonais, dérivés des séances de photos de telle ou telle idole. Bien que certains de ces produits puissent être agréables à regarder - il suffit en effet qu’ils aient pour objet Kaori Shimamura ou Kumiko Takeda par exemple - leur intérêt cinématographique reste parfaitement limité. Voilà qui dissocie d’emblée de telles productions du film qui nous intéresse aujourd’hui ; car l’opus en DV de Shoji Tanaka n’est rien d’autre qu’un chef-d’œuvre d’érotisme, expérimental et primitif.
Tourné dans la région d’Osarizawa, célèbre pour son histoire minière - de laquelle les vestiges industriels du film sont issus -, Eros plus Ruins possède toutes les qualités d’une œuvre cinématographique : une photographie magnifique, un sens du cadrage et du rythme (bien que celui-ci soit contemplatif) remarquables, une bande-son envoutante qui louche régulièrement du côté des sonorités chères à Akira Yamaoka (Silent Hill)... et en plus de tout ça, il a pour lui deux avantages considérables : la « physionomie » incroyable de l’environnement retenu, et la beauté érotique de Nao Eguchi, objet de l’attention du réalisateur, ainsi que de notre contemplation.
Car si la vision de Eros plus Ruins s’apparente parfois à du voyeurisme, en raison d’un côté légèrement malsain, je préfère parler de contemplation. Depuis les premiers pas de Nao Eguchi, qui dévoile des jambes et plus particulièrement des mollets magnifiques et sensuels, jusqu’au final qui la voit mêler le sang de ses menstruations à la terre dans un geste ô combien symbolique, la jeune fille nous touche, nous émeut, nous trouble, à la force de ses gestes, par la connaissances de ses propres courbes et imperfections. Il suffit d’un coup de langue sur un miroir, d’un abandon accroupi, pour que l’on se sente vaciller aux côtés de l’actrice, la rejoindre dans la pureté de ce lieu si complètement cinématographique. Les émois qu’elle suscite sont bien différents de ceux ressentis devant un direct-to-video dénudé ; ils sont plus primitifs et rappellent combien l’érotisme est avant tout affaire de regard et d’abandon.
Au terme de ce voyage, à la fois naturaliste et féministe, on ressent l’envie - devrais-je même dire le besoin ? - de s’attarder plus longtemps aux côtés de cette Femme, propriété de la Nature et Nature elle-même, pour la caresser un peu plus longtemps du regard, et entretenir les émotions que son évolution/régression ont sucitées en nous. Bien que franchement expérimental, Eros plus Ruins s’imprime durablement et constitue l’une des expériences érotiques les plus subtiles qu’il m’ait été donné de vivre par écran interposé. A recommander à ceux qui aiment le trouble d’une beauté animale, telle que traduite par Nao Eguchi devant l’œil de Shoji Tanaka, capable de capter si discrètement les grâces que dessine ce corps offert, aguicheur et poétique à la fois.
Eros plus Ruins est disponible en DVD japonais chez Uplink, sans sous-titres.





