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Japon | Etrange Festival 2002

Esclaves de la souffrance

aka Haka no Naka no Onna 2 | Japon | 1988 | Un film de Masaru Konuma | Avec Shibori Nagazaka, Miyuki Kawamura, Mami Ogawa, Natsumi Asai

Bien que Masaru Konuma ait réalisé 47 roman-porno sur le millier produit par la Nikkatsu entre 1971 et 1988 (genre lancé dans le but de faire augmenter le taux de fréquentation des salles nippones, désertées au dénut des années 70), le seul film de l’illustre réalisateur SM, mondialement réputé pour son Wife to be Sacrificed (Ikenie Fujin - 1974, avec Naomi Tani), qu’il m’avait été donné de voir jusqu’à maintenant, c’est son récent XX : Beautiful Hunter (1994) avec Makiko Kuno, sans doute le plus pervers de la série XX - à défaut d’être le plus réussi. Une chance pour nous que les bons organisateurs de l’Etrange Festival cru 2002 aient eu l’idée, pour cette dixième édition, de nous offrir une rétrospective du réalisateur... Pour des raisons de temps, Esclaves de la souffrance (littéralement "Woman in a Box 2") sera malheureusement le seul roman-porno que j’aurais le temps de voir. Masaru Konuma - présent pour l’occasion - nous offre une petite introduction, qui se conclut par cette précieuse information : le film est le dernier du genre réalisé par ses soins pour la Nikkatsu : la conclusion de 17 ans de carrière.

Konishi est propriétaire d’un hôtel dans une station de sports d’hiver - résidence qu’il dirige seul depuis que sa femme l’a quitté pour un autre homme. Marqué à vie par l’abandon, Konishi tente de "dérober" les femmes des couples qui séjournent dans l’hôtel, sous les yeux jaloux de la jeune Kazumi, sa belle-soeur, qui serait pourtant prête à s’offrir à lui. Lorsque les femmes qu’il convoite résistent à la tentation de la débauche, Konishi les enferme dans une espèce de petit buffet dans sa cave, pour les soumettre à ses fantasmes sadiques...

Esclaves de la souffrance est un film très court, divisé en deux parties bien distinctes. Après un générique magnifique qui trouvera écho dans la dernière demi-heure du film, la première partie suit le fonctionnement de bon nombres de thrillers érotiques... une certaine pincée de perversion en plus. Pour s’en convaincre, il suffit par exemple de voir Konishi profiter très largement de la femme (consentante) d’un homme ivre juste au-dessus du malheureux endormi. Arrive ensuite un second couple, dans l’un des plus beaux plans du film : alors que Konishi revient de la ville, il aperçoit une jeune femme debout dans la neige, vétue d’un manteau de fourrure blanc. Une apparition presque fantômatique dont on se doute qu’elle va changer le cours de la narration. Afin de pouvoir "s’attaquer" à celle-ci, Konishi crêve les pneus de la voiture du couple pour mieux pouvoir les dépanner et les amener jusque chez lui... Mais pas de chance pour lui, cette fois la femme est vraiment amoureuse de son mari. Pour Konishi, à la recherche de la vertu, l’enjeu augmente d’heure en heure - aussi amène-t-il le mari à faire une chute quasi-mortelle en ski. Une dernière touche d’humour (le cadre de l’image qui tremble pendant plusieurs secondes après la chute du malheureux), et Esclaves de la souffrance bascule...

Si ce dernier roman-porno de Masaru Konuma vaut autant le coup d’être vu, c’est à cause de cette seconde moitié, véritable monument de perversion - d’autant plus dérangeante qu’elle permet au film d’imposer une logique détraquée des relations physiques / amoureuses, de façon tellement maîtrisée qu’elle en deviendrait presque insidieuse. L’amour SM, ou comment faire de la violence un poème - c’est cette approche qu’adopte Konuma pour aborder l’esthétique de ce film qui parvient, étonnamment, à se placer "au-dessus de tout soupçon". La scène (fantastique) au cours de laquelle Konishi persécute sa nouvelle "compagne", suspendue dans une caisse en bois, à l’aide d’une tronçonneuse, avant de la violenter au travers de l’une des ouvertures découpée dans la bois, apparait comme une synthèse du film érotique et du film d’horreur (le plan des yeux exhorbités de la femme à l’approche de la lame motorisée renvoyant directement à un certain film de Tobe Hooper...), rapprochement souvent fait dans le contexte du cinéma horrifique, mais beaucoup moins dans le contexte sexuel. Une scène très travaillée, à l’image de toutes les scènes impliquant cette "remplaçante" de la femme de Konishi. Le plus bel exemple de cette approche visuelle léchée, caractéristique non seulement du cinéma érotique japonais mais surtout de la Nikkatsu, est cristallisé dans ces images à la fois absurdes et évidentes, empreintes d’une certaine ironie, illustrant le cadeau de Konishi à sa victime, maquillée pour découvrir un meuble laqué - noir à l’extérieur, rouge à l’intérieur - servant de nouvelle prison, comme pour récompenser son comportement exceptionnel de femme désireuse d’être fidèle.

Je ne vous livrerais pas ici la fin d’Esclaves de la souffrance ; il vous suffit de savoir qu’elle est à la fois immorale et parfaitement logique, et laisse le spectateur - à la fois émerveillé et effrayé - sur une sensation de perversion, à son insu, de ses propres valeurs éthiques ; sans aucun doute la plus grande réussite à laquelle un réalisateur de films SM puisse prétendre, et que Masaru Konuma atteint parfaitement ici. En nous laissant de plus avec ce symbole superbement improbable d’une renaissance en tête : l’image rougeâtre d’une femme paisiblement recroquevillée en position foetale, les yeux fermés et le sourire au lèvre, entre quelques planches de bois peint...

Esclaves de la souffrance - dont la copie a été financée par l’équipe de l’EF elle-même ! - n’est disponible sur aucun support.

- Article paru le dimanche 8 septembre 2002

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