Eternity
Cela fait un certain nombre d’années déjà que Sancho traîne ses mots sur la toile, presque autant que nous nous rendons au Festival du film asiatique de Deauville, et force est de constater que, pour cette manifestation comme pour d’autres, nos ressentis sont rarement en phase avec ceux des jurys chargés de désigner quelques lauréats. Contemplation thaïlandaise dont l’infinie pudeur côtoie de trop près l’inconsistance cinématographique, Eternity, premier long de Sivaroj Kongsakul produit sous la bienveillance d’Aditya Assarat (Wonderful Town), rejoint ainsi True Legend au rayon des incompréhensions de l’édition 2011 fraîchement achevée. Devrais-je pourtant m’en étonner ? A la sortie de la projection, mon compère Kizushii me remémorait notre exaspération à l’issue de la vision d’un certain Blind Pig Who Wants to Fly, raillant la victoire prévisible de la seule œuvre en compétition à nous avoir à ce point effleurés. Il avait vu juste, le bougre.
Eternity s’ouvre sur de longs plans séquences d’un homme traversant autant de paysages à moto, avant de se recueillir, en silence et en larmes, dans une bâtisse abandonnée, et de s’enfoncer dans les eaux d’une étendue proche. Ce prologue insaisissable partage avec le trublion indonésien précité une lacune évidente : en l’absence de note d’intention – ou mieux, d’un dossier de presse indispensable -, bien malin le spectateur qui percevra en cet homme le spectre d’un récent défunt, arpentant ses souvenirs de jeunesse en accord avec une croyance locale. Qu’importe me direz-vous, s’il se dégage de son pèlerinage nostalgie et émotion. Mais les premiers plans, trop longs, donnent à son parcours des allures d’égarement, les allers et retours de sa moto perturbant la quiétude somnolente de notre observation forcée.
Lorsque Kongsakul embraye avec beaucoup de délicatesse, sur l’émoi platonique qui unit Wit (notre revenant) et sa bien aimée Koi, le vrombissement mécanique s’efface au profit d’un chuchotement amoureux, qui va emplir la quasi-totalité du métrage de sa retenue identitaire. Une heure durant, le réalisateur va regarder ses protagonistes s’aimer simplement, à demi-mot, dans une distance idéalisée. Lorsque l’on sait qu’Eternity évoque la naissance de la relation des parents de l’auteur, le temps d’un séjour à la campagne qui résonne lui aussi d’une histoire (celle des souvenirs d’enfance de Wit), on comprend que des moustiquaires les sépare chaque nuit l’un de l’autre ; voiles semi-opaques – ou semi-translucides selon votre tolérance – qui ont tôt fait de se dresser entre le spectateur et l’émotion, n’en laissant filtrer que de désuètes particules. Celles-ci véhiculent certes affection et respect, politesse et délicatesse, mais leur perpétuelle évanescence évoque difficilement la pérennité – et encore moins l’éternité.
Je dois bien avouer qu’il y a un talent évident, dans le fait d’avoir réussi à imprimer un tel effleurement sur pellicule. Mais l’extrême pudeur de la démarche de Sivaroj Kongsakul finit par nous donner l’impression que nous ferions mieux de laisser ces deux êtres tranquilles, que nous n’avons pas à les fixer ainsi, n’en déplaise à leur beauté simple qui, finalement, est aussi simpliste. N’allez pas me faire dire qu’Eternity fait fausse route, car j’aime l’idée qu’un souvenir idéalisé survive à un être, dépouillé de tout parasite extérieur, autant que celle développée par la conclusion du film, qui veut que l’absence en elle-même l’emporte sur la raison de l’absence. C’est au contraire dans sa réussite qu’il échoue à m’intéresser réellement : à se contenter d’une émotion trop proche de son auteur, Eternity est un film qui ne saurait nous appartenir.
Eternity a été diffusé au cours de la 13ème édition du Festival du film asiatique de Deauville (2011), où il a remporté le Lotus du Meilleur film.




