Sancho does Asia, cinémas d'Asie et d'ailleurs
Corée du Sud | Festival du film asiatique de Deauville 2007

Family Ties

aka Gajokeui tansaeng | Corée du Sud | 2006 | Un film de Kim Tae-yong | Avec Moon So-ri, Goh Doo-shim, Uhm Tae-woong, Kong Hyo-jin, Bong tae-kyu, Jung Yu-mi

Le cinéma coréen a, depuis quelques années, la réputation de reprendre avantageusement à son compte les principaux genres du cinéma occidental. Le film choral, plutôt rare dans le cinéma asiatique (Inde mise à part), ne fait désormais plus exception. Family Ties lui rend honneur, mêlant habilement ses personnages tout en y ajoutant une dimension temporelle originale. Kim Tae-yong, que l’on avait déjà remarqué pour son très réussi Memento Mori (co-réalisateur et co-scénariste), évite l’écueil inhérent à la multitude de protagonistes et permet à tous, par son écriture et une direction tout en finesse, de briller.

Mira, une restauratrice timide, voit son frère débarquer à l’improviste avec sa nouvelle femme, de plusieurs années son aînée. Sun-kyung, une jeune fille très terre à terre, entretient une relation conflictuelle avec sa mère, incurable romantique. Deux adolescents vulnérables, Chae-hyun et Kyung-suk, tentent de maintenir à flot une relation amoureuse entre jalousie maladive et extrême naïveté. Quels liens entre tous ces personnages ?

Avant tout, et c’est une des grandes forces du film, les trois segments qui composent l’histoire se suffisent à eux-mêmes. Magnifiquement écrits, ils donnent épaisseur et vie à des personnages que l’on suit pourtant dans des scènes plutôt ordinaires. Chacune d’entre elles est une illustration du thème transverse qui donne sa cohérence à l’œuvre : l’amour, ses manifestations, ses relations. Qu’il soit fraternel, filial ou conjugal, l’amour est bien au centre de la vie de chacun des protagonistes, en dépit des apparences et souvent malgré eux. Les relations compliquées qu’ils entretiennent et leur incapacité à exprimer cet amour – tout au moins en parole – ne font que mettre en valeur la force de ce sentiment, qui se passe de mots et de rationnel. C’est lui qui rassemble ces êtres, rapprochant ceux qui ne semblent pourtant pas capables d’aimer, ceux qui le prétendent mais ne font que se disputer, ceux enfin qui disent ne pas s’aimer mais qui sont là l’un pour l’autre. Qu’ils soient parents, amoureux ou simplement amis, ils sont ensemble parce qu’ils s’aiment, et ce sont ces liens là que le titre met en exergue.

Laissé libre par une structure narrative qui joue avec l’espace et surtout le temps, le réalisateur prend un malin plaisir à jouer avec les contrastes pour dispenser son message. Il monte son film comme un véritable arbre généalogique pour conclure, au final, que les « liens de famille » qui unissent ses héros transcendent les liens du sang. On assiste bel et bien sous nos yeux à la « naissance d’une famille », par ailleurs traduction fidèle du titre original. Surfant sur les contradictions, Kim Tae-yong tire partie de l’irrationalité dont font preuve ses personnages devant les dilemmes qu’il distille subtilement dans chacune des tranches de vie. Mira est heureuse du retour de son frère mais ne supporte pas son comportement. Sun-kyung ressent la même chose pour sa mère qu’elle aime pourtant malgré elle. Enfin, Kyung-suk maudit chez Chae-hyun une trop grande générosité qui est pourtant à l’origine de son amour pour elle. Dans chacun des segments, l’insistance de tous à remplacer un simple « je t’aime » par un équivoque « comment peux-tu me faire ça ? » montre l’ambivalence du sentiment amoureux, porteur de souffrances. Les trois saynètes, symétriques par analogie avec l’arbre généalogique, partagent ainsi certaines répliques, mais également une structure et un symbolisme similaire. Chaque cocon familial se voit perturbé par l’intrusion soudaine d’un personnage extérieur, annoncée par un coup de téléphone et tacitement acceptée par une photographie prise tous ensemble. Enfin, les ramifications de l’arbre sont représentées par un train qu’empruntent les protagonistes et qui met à jour la cohérence de l’ensemble. A ce titre, le très beau générique final, plan séquence entremêlant l’ensemble des acteurs sur un quai de gare, est à la fois émouvant et évocateur.

L’émotion que l’on ressent tout au long du film pour ces banales aventures est à mettre au crédit du réalisateur et de ses interprètes, magnifiques. La caméra, très intrusive, proche des corps et des visages, donne une réalité documentaire aux personnages et fait rentrer le spectateur au sein de la famille. Sevré de dialogue, le jeu des acteurs repose principalement sur la gestuelle et les expressions de visage, insiste sur leurs faiblesses et les rend très humains. Une jolie bande-son au piano comble subtilement les nombreux moments de silence, elle est porteuse de cette émotion puissante et discrète qui relie chaque épisode narratif. Une émotion particulièrement contagieuse…

Cette histoire de liens, parfois distendus, tantôt emmêlés, souvent proches de rompre mais pourtant bien tenaces, résonne dans l’expérience personnelle de chacun. Et s’il est un lien qui transparaît de l’œuvre dans son ensemble, c’est bien l’amour et la bienveillance que Kim Tae-yong témoigne à ses personnages. Il fait ainsi preuve d’un optimisme salvateur pour un spectateur qui ne s’y reconnaîtra que trop facilement. Rempli de symboles, de non-dits, de répliques énigmatiques ou contradictoires, le film est en somme un attendrissant jeu de piste dans lequel on se perd avec plaisir…

Family Ties est disponible en double DVD en Corée. Comme toujours pour les éditions coréennes récentes, image (16/9) et son (5.1) sont impeccables. Les sous-titres anglais sont fluides, mais ils ne concernent malheureusement pas le disque de bonus, qui restera hermétique à quiconque ne parle pas coréen...

- Article paru le dimanche 10 août 2008

signé David Decloux

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