Fat Choi Spirit
Johnnie To et Wai Ka-Fai, loin des polars incisifs qui ont fait leur renommée, s’engagent ici sur la voie de la comédie pure. Pourtant, si les réalisateurs et Milky Way, leur maison de production, semblent vouloir persévérer dans ce sens, To et Ka-Fai n’en négligent pas pour autant leur marque de fabrique. Ce n’est pas le genre du film qui est important pour eux, ni même l’histoire, c’est le décalage. Constamment ils cherchent, dans leur traitement, à s’écarter de leur sujet, ils jouent sur les oppositions et les contrastes, provoquent le spectateur en le prenant par surprise, par originalité.
Andy est LE dieu du majhong. Il ne perd jamais, brasse les millions, et mène la vie facile. Jusqu’au jour où, par hasard, il retrouve sa mère, atteinte de la maladie d’Alzeihmer, son frère, ruiné par l’explosion de la bulle internet et une ancienne petite amie, prête à tout pour lui mettre la bague au doigt. Tout ce petit monde se retrouve évidemment autour d’une table de majhong, les uns contre les autres ou aux prises avec une bande d’arnaqueurs menée par l’imposant rappeur Sean, aussi empoté qu’inoffensif.
Rien de très original, à première vue, et plutôt confus. Effectivement, si la trame est classique et à peine suffisante pour tenir le film, elle est aidée en cela par des acteurs renommés qui, forts de leur statut de stars, profitent de l’histoire pour se faire plaisir et cabotiner à l’extrême. C’est en grande partie grâce à leur jeu exagéré que les personnages, bien que stéréotypés, sont aussi développés. Ils envahissent l’écran, pour notre plus grand plaisir tant ils sont attachants. On retiendra notamment Lau Ching-Wan, impressionnant dans un rôle à mi-chemin entre Puff Daddy (sa pilosité vestimentaire) et le facétieux Prince de Bel-Air (tout est dit), et Gigi Leung, éclatante de dynamisme dans les multiples facettes requises par son personnage. Ses différentes tentatives pour "changer de vie" sont à l’origine des meilleurs gags du film. Andy Lau est égal à lui-même, impassible et décontracté, à l’opposé de son alter-ego de Running Out Of Time (Ching-Wan) qui, bonnet sur les yeux et chaîne en or autour du cou, ne manque aucune occasion de placer une mimique amusante.
La recomposition du couple vedette de Running Out Of Time n’est certainement pas aussi innocente qu’elle n’y paraît. Le film regorge de clins d’œil, en direction de réalisations maison (on frise, de la part de To et Ka-Fai, l’auto-parodie) comme d’autres grosses productions hongkongaises. Il suffit de voir le final du film, qui reprend, dans un superbe pastiche, le thème musical et le plan du pré-générique de Once Upon a Time in China. Piochant tour à tour dans le polar et le western, Johnnie To et Wai Ka-Fai cuisinent une mayonnaise qui prend plutôt bien. Ils empruntent à leurs propres films le flash-back, le mélange passé-présent et les éclairages sombres ou bleus. Par l’intermédiaire de l’incontournable Raymond Wong, ils détournent la musique sifflante aux accords de guitares signée Enio Morricone et multiplient les gros plans de visages, de mains qui ne sont pas sans rappeler les parties de poker des meilleurs westerns, hollywoodiens et italiens. Les plans circulaires et l’affrontement final, venteux comme il se doit, parachèvent ce détournement de genre et font peut-être de Fat Choi Spirit la première "comédie spaghetti" de l’histoire du cinéma. Les parties de majhong sont ainsi filmées comme autant de duels, de façon dynamique, avec des cuts rapides alternant mains, dominos et visages. Elles peuvent cependant paraître longues au profane qui restera de marbre face à la tension censée émaner des configurations de la partie.
C’est le vrai point noir du film qui en ressort bancal au vu du nombre de séquences de jeu. En résumé, à voir pour les acteurs (si vous les connaissez), le majhong (si vous savez y jouer), les réalisateurs (si vous êtes familier de leur travail) et les références (si vous possédez une petite culture du cinéma hongkongais). Des pré-requis qui peuvent, et c’est compréhensible, en rebuter plus d’un...
Fat Choi Spirit est disponible en DVD HK (donc toutes zones), édité chez Mei Ah. La copie est belle avec très peu de poussières et la bande son (cantonais d’origine et mandarin 5.1), bien que discrète, est très claire. Une piste de sous-titres anglais est également proposée. Côté suppléments, on repassera avec uniquement un synopsis et des biographies...

