Fear X
Attention spoilers !
A l’écran dans quatre films de ce cru 2003 (parmi lesquels Danger : Diabolik ! et Barbarella), c’est en chair et en os que John Phillip Law a déclaré ouverte hier soir la onzième édition de l’Etrange Festival. Pour entamer les festivités (et non pas les réjouissances), c’est le troisième film du réalisateur danois Nicolas Winding Refn, Fear X, qui a été projeté à l’assemblée de l’auditorium presque comble du Forum des Images.
Réalisé d’après un scénario écrit en collaboration avec Hubert Selby Jr. (l’auteur de Last Exit to Brooklyn et Requiem for a Dream), Fear X nous expose le chemin de croix de Harry Caine (John Turturro), agent de sécurité dans un centre commercial du Wisconsin, dont la femme Claire a été abattue dans le parking souterrain de son lieu de travail. Ce soir là, deux personnes ont trouvé la mort ; la seconde semblerait-il, appartenait aux forces de l’ordre. Claire était-elle une cible, une victime d’opportunité ou un dommage collatéral ? Plus que le "qui", c’est le "pourquoi" que Harry recherche désespérément, visionnant rétroactivement les cassettes de surveillance du mall à la recherche du moindre élément de réponse...
En silence comme abasourdi, Harry regarde sa femme, sous la neige, lui tourner lentement le dos pour pénétrer dans le jardin de la maison d’en face. Dès cette première scène onirique, Fear X se pare d’une inertie, pesante et douloureuse. Le spectateur sans connaître le sujet du film, ressent déjà l’éloignement qui ronge Harry de l’intérieur, cette absence surlignée par un bruit sourd, constant, dans la bande-son de ses errances. Par petits morceaux, Refn confirme nos appréhensions au travers des bribes d’images que Harry collectionne façon Memento, pour tenter de reconstituer la mort de sa femme. Il visionne cassette sur cassette, guettant des indices qui n’en sont pas puisque, de toute façon, il ne peut savoir ce qu’il recherche.
Au cours de cette longue exposition de la douleur de son "héros", Fear X est superbe, étouffant dans sa lenteur qui semble presque en deçà du seuil des 24 images secondes - à l’image de ces cassettes que Harry ralentit pour ne rater aucun détail potentiellement porteur de sens. Refn laisse le temps au spectateur de s’imprégner de cette absence, l’amène à rechercher lui-même des fragments d’images explicatifs, sans savoir toutefois lesquels pourraient l’aider. Et ce jusqu’à cette scène merveilleuse, au cours de laquelle Harry tente de maintenir sa femme en vie, freinant la relecture de son exécution.
A partir de cet instant toutefois, Fear X change violemment de ton. Refn décide, avec l’intrusion de cette image qui n’a pas été capturée par Harry, d’une femme et de son enfant, d’ouvrir son film sur les autres. L’espace de quelques scènes après l’arrivée de John Turturro dans le Montana - lieu supposé de la résolution de l’enquête - le réalisateur développe une intrigue forte impliquant le personnage interprété par Deborah Unger (retrouvailles malheureusement trop courtes avec la sublime actrice de Crash) et son mari lieutenant de police, Peter (James Remar). Puis, sans prévenir, Refn tue ce suspense dans l’œuf et offre, au spectateur uniquement, la réponse à la question de Harry. Maladresse d’écriture ou tentative consciente justement, de ré-écriture introspective ? Les dernières images du générique du film, qui rejouent différemment l’exécution de Claire Caine visionnée par Harry, tendent à préférer la seconde interprétation.
Cependant dans le dernier tiers de Fear X, le dénouement intérieur du martyre de Harry, stigmatisé dans cet hôtel qui ne peut que rappeler Barton Fink, au coeur de cadrages et d’éclairages qui ne peuvent que rappeler Lost Highway, peine à échapper à cette révélation prématurée qui n’est pourtant pas l’objectif de la narration. Alors que Refn était pertinent dans son utilisation d’images tellement agrandies qu’elles en perdaient toute signification, il tombe finalement dans son propre piège en regardant de trop prêt la résolution du traumatisme de Harry Caine.
Et si John Turturro est impeccable, sa présence rattache bien trop Fear X au chef-d’œuvre des Frères Coen, explicitant encore plus une douleur qui aurait gagnée à être, non pas élucidée mais simplement partagée, demeurant inconnue (le "X" du titre ?) et écrasante. Tout cela est d’autant plus dommage, que la superbe partition de Brian Eno était propice au développement d’un véritable étouffement, et non d’une aspiration. A cette ouverture potentielle, on préfèrera donc malheureusement les culs de sac précédemment dérivés de l’imagination de Hubert Selby Jr.
Fear X a fait l’ouverture de la onzième édition de l’Etrange Festival, et devrait sortir prochainement sur les écrans français.



