Fish Story
Aux origines du bien.
Une fish story n’est supposée être qu’une simple petite blague enfantine, une histoire invraisemblable qui, une fois livrée aux quatre vents et à la magie du bouche-à-oreille, finit par atterrir là où on ne l’attend pas. « La chanson Fish Story du groupe punk japonais Geki-rin va peut-être sauver le monde. » C’est en s’appuyant sur cette parole aussi peu prophétique que saugrenue, et lancée par un disquaire étrangement calme face à l’apocalypse imminente, que va débuter ce film de Yoshihiro Nakamura.
Plusieurs époques, plusieurs histoires, aucun lien apparent.
2012 – Une comète va bientôt détruire la Terre. Les rues de Tokyo sont désespérément vides, délaissées pour des sommets montagneux supposés plus sûrs. Tout y est mort, tout sauf un petit magasin de disques où deux hommes passent les dernières heures de l’humanité à écouter de vieux vinyles. Cet acte pourrait être qualifié de véritable Rock n’ Roll attitude, si seulement il n’y avait ce petit picotement dont l’homme n’arrive jamais à se débarrasser complètement, et qui vient le titiller dans les moments les plus désespérés : l’espoir.
1975 – L’année de l’enregistrement de Fish Story. Comment cette chanson est-elle venue au monde, d’où vient son titre, et pourquoi y-a-t-il 30 secondes de blanc en plein milieu ?
1982 – Un jeune homme que sa lâcheté fait énormément souffrir écoute avec des amis Fish Story, chanson supposée hantée par un esprit que seules certaines personnes « élues » pourraient entendre crier pendant les 30 secondes de blanc.
1999 – Des prêtres légèrement illuminés et plusieurs dizaines de fidèles attendent impatiemment la fin du monde que Nostradamus a annoncé pour 1999.
2009 – Sur un ferry en route pour Hokkaïdo, une jeune lycéenne pleure parce qu’elle vient de rater la sortie « Tokyo ». Ce petit contretemps va lui permettre de rencontrer un jeune et gentil serveur, éduqué pour devenir redresseur de torts.
Quoi de plus dramatique que l’anéantissement total de la Terre pour amorcer un film. Il y aurait même là de quoi plomber toute la suite de l’histoire, si Yoshihiro Nakamura n’avait pas, très intelligemment et surtout très rapidement, désamorcé ce potentiel destructeur en s’attachant solidement à l’être humain - qui semble être ici sa priorité. En effet, dans cette première partie anticipative, plutôt que de présenter la folie qu’impliquerait une telle situation, il relègue la comète au second plan et laisse ainsi la place à une saine discussion où l’hystérie n’a pas lieu d’être. Quelques minutes plus tard, il n’en est même plus du tout question puisque nous nous retrouvons près de 40 ans plus tôt. Mais alors, si ce n’est pas de destruction et de chaos dont il est question, que va-t-il nous rester ? Suffisamment, rassurez-vous.
Fish Story est un film de scénariste - ici celui du fameux Dark Water de Hideo Nakata – et ça ce sent. Cette impression s’impose tout naturellement à nous, tant les rouages complexes de cette œuvre semblent maitrisés de bout en bout, certaines informations distillées avec précaution, d’autres volontairement omises. Les différentes parties, si éloignées à l’origine, vont petit à petit se rapprocher puis se mélanger jusqu’à ne former qu’un tout cohérent. Mais attention, il arrive souvent que dans le cas de films puzzle comme celui-ci, le réalisateur/scénariste tombe dans la facilité intellectuelle en présentant une histoire diaboliquement précise dans sa construction, mais terriblement déshumanisée tant les personnages ne dépassent pas le stade de simples pantins. Pas de ça ici. Que ce soient les membres du groupe, partagés entre faire leur musique ou en vivre, le jeune homme à qui l’on prédit qu’il passera à côté de la rencontre de sa vie s’il ne se bat pas pour elle, ou encore cette lycéenne un peu tête en l’air, tous ont suffisamment d’espace pour exister et donc nous toucher. Si les différentes parties s’enchainent plutôt agréablement, on ne peut quand même s’empêcher de ressentir quelques longueurs. Cela est probablement lié à l’une des difficultés majeures de ce genre de film choral, à savoir le nombre de personnages. Étant plus d’une dizaine à avoir plus ou moins le même degré d’implication, il était impossible en 1h50 d’arriver à leur donner suffisamment de relief, tout en réussissant à développer une histoire élaborée, et ce sans sacrifier un peu le rythme. Mis à part cela et une utilisation un peu démodée de la voix-off, il n’y a pas grand chose à jeter.
Certains verront quand même d’un mauvais œil le résumé final, reprochant ainsi à Nakamura de tomber dans la facilité et de nous mâcher le boulot. D’un autre côté, lorsque l’on vient de passer tout le film à essayer de reconstruire le puzzle dans sa tête, quelle jouissance que de voir enfin défiler tous les morceaux remis dans le bon ordre, et ainsi d’apprécier comment l’enchainement d’éléments insignifiants va déboucher sur un évènement positif majeur. Pourquoi le battement d’aile d’un papillon au Brésil devrait forcément provoquer une tornade au Texas ?
La plaisir est un état affectif généralement contagieux... Bon, c’est du moins le cas ici. Celui qu’a pris Nakamura à raconter son histoire, vous le ressentirez sans doute en la regardant. J’en veux pour preuves les nombreuses références cinématographiques qui sont autant de petites touches gracieuses venant éclaircir un horizon actuel plutôt bouché. On notera tout particulièrement celle au fameux « Karaté Kid » qui ravira tous les fans du regretté Miyagi sensei, alias Pat Morita.
Fish Story est un film qui, sans atteindre la puissance poétique d’un Postman Blues, réussira probablement à arracher aux plus cyniques d’entre nous quelques soupirs de contentement. Et ça, c’est déjà très bien.
Fish Story a été présenté lors du 28ème Bruxelles International Fantastic Film Festival.




