Flash Future Kung Fu
Bienvenue dans un future proche, quelque part au 21ème siècle, dans lequel une ville sans nom grouille de nazis arty qui traînent dans des salles d’arcade old school, où les femmes urinent debout, où seuls les méchants fument des joints et au sein duquel le tube cathodique à nu est l’un des équipements informatiques les plus répandus, voué à diffuser de la neige. Bienvenue dans ce monde oui, dans lequel seule une école de kung fu résiste à l’oppression et au délâbrement ambiants, où un homme du nom de Killer tente de protéger une petite fille. Dans ce même monde de couleurs pop, à tendance homo-industriel, où il est de bon ton de porter un masque à gaz à toute heure, Killer et son co-disciple Gei se retrouvent opposés aux nazis par le biais de la mère de cette fille, ainsi que de son amie lubrique, propriétaire d’une voiture très australienne cru 1981 (un monceau de tuyaux translucides en plus). Gei trouve la mort dans les conséquences de cette rencontre, et Killer crie vengeance à qui veut l’entendre, mais réchappe de peu à l’au-delà en affrontant la racaille extrémiste. Son maître l’entraîne et le surentraîne alors, afin de pouvoir pénétrer la forteresse nazie et éliminer les bad guys et leur chef, qui ont démoli l’école de kung fu et veulent lobotomiser l’ensemble de la population...
Faisons un petit bond de quelques décennies en arrière. Nous sommes au début des années quatre-vingt, et Kirk Wong est encore loin de ses chefs-d’œuvres - Gunmen, Crime Story, Organized Crime & Triad Bureau, Rock n’Roll Cop. Armé d’une poignée de dollars HK, il se lance dans un projet incongru, reprenant la base classique des films d’arts martiaux - retrouver l’honneur d’une école de kung fu - pour la transposer dans une ambiance d’anticipation nihiliste. Il s’agit de Flash Future Kung Fu ; un film qui, ving-cinq ans après sa sortie, fait encore figure d’OVNI non seulement dans la carrière du réalisateur, mais aussi dans l’ensemble de la production cinématographique hongkongaise, peu généreuse en exercices de ce genre. A mi-chemin entre le produit vidéo de base et le film expérimental novateur, Flash Future Kung Fu déroute, surprend, mais n’ennuie jamais, et souvent fascine.
Car Kirk Wong à l’époque, est déjà Kirk Wong, et sa réalisation est impeccable. L’homme exploite avec talent des bouts de ficèles qui, à plusieurs reprises, peuvent prêter à sourire - la voiture des deux vilaines nazies, bric à brac peu crédible tendance Mad Max - mais possèdent, dans l’ensemble, une certaine force visuelle à défaut de cohérence, notamment grâce à une photographie RVB détonnante (à laquelle on doit certainement le « Flash » du titre). A l’opposé, bien que l’ensemble soit monté par un certain David Wu (futur monteur de John Woo ou encore Christophe Gans), la narration est pour le moins elliptique et morcelée. De plus pendant un temps, Flash Future Kung Fu dispute au dernier tiers du Soldier de Paul W.S. Anderson son abstinence d’élocution. Le film est plus verbeux dans sa conclusion, mais je ne puis vous faire part de la pertinence des phrases échangées entre les protagonistes qui évoluent dans ce monde irréel, ne possédant qu’une copie sans sous-titres. Ce qui m’a permis d’écrire mes propres textes - « J’en veux pas de ton jus de fruit. Tu ne vois pas que tu as fait super mal à mon disciple ? » - et donc rendre l’édifice plus iconoclaste encore.
Pas que Flash Future Kung Fu ait besoin d’intervention extérieure pour se singulariser (mais je vous recommande tout de même l’expérience). Non, il suffit pour ça par exemple, d’un happening curieux sur fond de musique électro-minimaliste, dans un bar très Orange Mécanique, au cours duquel nos deux chères nazies - dont une finira tout de même par s’allier aux forces du bien - vêtues de tutus, noient une femme rondouillarde en spandex léopard dans un aquarium. Ou encore d’un combat semi-parodique entre Killer et un tout jeune Elvis Tsui Kam-Kong qui fait le pitre en slip. Sinon, vous pouvez vous rabattre sur l’ultra-violent combat final, sur un ring surgit des ténèbres, filmé (superbement) avec la verve dynamique d’un arbitre de boxe, plongé au cœur des coups, la caméra à l’épaule, jusqu’aux derniers coups acharnés de Killer sur le plexus de son adversaire au sol.
Il est difficile d’affirmer que Flash Future Kung Fu est un bon film, et plus difficile encore de comprendre les huit nominations - y compris le meilleur scénario ??? - dont il a fait l’objet aux Hong Kong Film Awards en 1982. Mais il fait partie de ces oeuvres à part, auxquelles on s’attache facilement, ratées et transcendées du même élan enthousiaste. Et ne serait-ce que pour la délirante bande-son de Jim Shum, quelque part entre Carpenter et la musique d’un jeu 16 bits, cette œuvre de jeunesse de Sieur Kirk Wong s’achète aisément une place - de cœur - dans toute vidéothèque un tant soit peu curieuse.
Si Flash Future Kung Fu est disponible dans une vilaine édition Zone 1 doublé en anglais, on lui préfèrera l’édition VCD HK, seule survivante de l’ex-colonie aujourd’hui puisque le LD est introuvable. Copie recadrée 4/3, compression dégueulasse et absence de sous-titres confèrent un petit plus de charme à un film qui n’en manquait déjà pas. Il n’y a pas de mal à faire preuve d’un certain élitisme fétichiste, quand celui-ci vise à niveler par le bas...




