Sancho does Asia, cinémas d'Asie et d'ailleurs
Malaisie | Festival du film asiatique de Deauville 2008

Flower in the Pocket

Malaisie | 2007 | Un film de Liew Seng Tat | Avec Zi Jiang Wong, Ming Wei Lim, James Lee, Amira Nasuha, Azman Hassan

Da Huang a encore frappé ! Après The Beautiful Washing Machine, un ovni cinématographique remarqué à Deauville en 2007, la petite boîte de production malaise remet ça et s’offre même le Lotus du jury 2008. Liew Seng Tat prouve encore une fois qu’il n’est point besoin de décors exceptionnels, d’un budget et de moyens techniques considérables pour faire un film captivant, beau et touchant. Du cinéma, en somme…

Li Ah et Li Ohm sont livrés à eux-mêmes dans Kuala Lumpur par un père qui noie son chagrin d’amour dans la solitude et le travail. Débrouillards et insouciants, ils vagabondent dans une capitale malaise plutôt bienveillante…

Si l’isolement est un thème majeur du film, celui-ci ne manque cependant pas de chaleur humaine. Tout l’art de Liew Seng Tat est de dépeindre une multitude de familles ou microcosmes humains pour contrebalancer une solitude qui est pourtant au cœur de chacun d’entre eux individuellement. La solitude des enfants sans parents, la solitude d’un père sans femme, d’une mère sans mari, d’un ouvrier indien face à ses responsabilités,… Ainsi, le père et ses enfants n’apparaissent dans un même plan que vers le dernier tiers du film. Pourtant, les liens entre tous ces personnages sont parfaitement établis à travers l’histoire, les décors, et les plans de coupe qui rendent fluides toutes ces relations. De la même manière, l’ombre laissée par l’absence de leur mère plane constamment autour des deux enfants, qui d’aventures en aventures semblent à sa recherche. Le silence qui les entoure dans leurs jeux, dans leur vie, rend cette absence palpable pour le spectateur, par opposition à la mère très volubile de leur amie. Un mutisme partagé par le père (campé par un James Lee au visage toujours aussi fermé), qui préfère la compagnie silencieuse des mannequins parce qu’il ne sait pas comment combler le vide maternel auprès de ses enfants. Si la bizarrerie qui l’affecte est prétexte à une scène comique d’anthologie à l’hôpital, elle est surtout une métaphore très évocatrice : il perd de l’eau par les tétons…

Tous ces personnages brisent plus ou moins explicitement cette solitude à l’écran, dans des tentatives un peu vaines mais terriblement émouvantes de reconstruire une famille. Les jeux solitaires des enfants, le père trouvant refuge auprès de ses mannequins cassés, son ouvrier indien dans le sexe (suggéré et par téléphone), la mère couvant sa fille... Qui sait ? Si le film se veut de ce point de vue plutôt pessimiste, l’énergie déployée par les protagonistes est extrêmement touchante et, comme le souffle le final, récompensée. Rien n’est explicité dans ce film quasi-muet, Liew Seng Tat ne propose pas de réponses faciles mais suggère, sème des indices à travers une écriture habile et des acteurs magnifiques.

Grâce à un point de vue de réalisation particulièrement objectif, Liew Seng Tat évite le pathos facile et laisse intelligemment le soin au spectateur de faire sa propre interprétation, sans jamais émettre de jugement propre. Tous les personnages, bons ou mauvais, sont à la fois présentés sous un jour médiocre et beaucoup plus humain. Le réalisateur joue également sur les antagonismes pour faire passer ses messages. Tirant partie d’une Malaisie multiculturelle et diverse, il met l’emphase sur les difficultés d’intégration de la communauté chinoise, le choc des religions, le contraste de deux familles monoparentales. Les injustices sont alors plus déduites que montrées et jamais lourdement stigmatisées. On sent bien en effet que Liew Seng Tat a de l’espoir pour ce pays chamarré, et son film en est la microscopique métaphore : à l’échelle d’une famille en reconstruction, c’est la grande famille malaise qui est évoquée ici.

Tout en subtilité, le cinéaste délivre son message en utilisant le meilleur des vecteurs, l’humour. Ponctuées de scènes douces-amères et d’effets comiques malicieux, les aventures des deux enfants prennent une dimension à la fois joyeuse et émouvante. L’aspect dramatique de la situation des enfants est ainsi atténué et permet au spectateur de donner une seconde chance au père, qui objectivement ne la mériterait pas. Le réalisateur tourne avec le point de vue d’un enfant, une perspective naïve et insouciante qui prouve qu’il n’a pas oublié ce qu’un gamin peut ressentir dans un monde qui n’est plus fait pour lui. La principale réussite du film est de rendre crédible la vie improbable des deux protagonistes. Les deux acteurs principaux (8 et 10 ans) font preuve d’un naturel impressionnant et donnent à leurs personnages une sacrée dose de caractère. Ce sont les véritables joyaux du film. Attendrissants, sincères et d’une joie de vivre communicative, ils sont de futures stars, sans aucun doute…

Bien que visiblement maîtrisé de bout en bout (écriture, réalisation, direction), Liew Seng Tat semble laisser le champ libre à ses personnages, en gardant une certaine distance. Il demande au spectateur un effort supplémentaire d’immersion, mais ô combien gratifiant. Ses images sont brutes, la plupart du temps très crues, faisant la part belle aux ciels blanc laiteux et à la lumière artificielle d’un néon qui teinte imperceptiblement les scènes comme dans The Beautiful Washing Machine. Kuala Lumpur est délavée, sans couleur, à l’image de la fleur du titre qui se trouve peut-être dans la poche des enfants. Est-elle rouge, symbolisant, lors de la fête des mères au Japon, que cette dernière est toujours vivante ? Est-elle blanche, signifiant le contraire ? Y-a-t-il même une fleur ?

Flower in the Pocket est disponible en double DVD sur le site de la maison de production Da Huang (15$ port compris pour le monde entier) ! L’image DV originale est plutôt propre, le son direct caméra l’est un peu moins, mais c’est inhérent au mode de tournage et à un budget minime (13 jours de tournage). Le deuxième DVD contient un making-of ainsi que des bandes-annonces. A ce prix là et pour un tel film, on aurait tort de se priver. D’autant que le circuit restreint de distribution du DVD (la maison de production) fait de notre achat un acte de financement d’un prochain petit bijou !

- Article paru le samedi 7 juin 2008

signé David Decloux

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