Freddy Vs. Jason
"Welcome to my world, bitch !"
On peut comprendre que Wes Craven ait tenté avec son New Nightmare en 1994, d’effacer l’affront de Rachel Talalay en livrant sa propre conclusion à la saga Nightmare on Elm Street, qu’il avait initiée dix ans auparavant. Il a tellement bien réussi à estomper cette fâcheuse escapade (la sixième) - qui mettait pourtant en scène Alice Cooper, souvenez-vous ! - que tout le monde a oublié ce bon vieux croquemitaine. Comment s’appelait-il déjà ?...
Mais si allons, faites un effort ! Le Springwood Slasher comme le surnommaient les journaux ; cet homme qui s’attaquait à des enfants avec des lames finement aiguisées... Enfin, tout le monde se souvient qu’il a réussi à échapper à la prison, et que les parents des victimes - effectives et potentielles - ont pris la justice en main en l’immolant ! Non ? Et bien figurez-vous que les enfants et adolescents de Springwood n’ont plus, eux non plus, le moindre souvenir de ce personnage effrayant. Et comme celui-ci une fois décédé, puisait son énergie de la peur qu’il suscitait chez les bambins et les jeunes adultes, le voilà bien impuissant ! Heureusement qu’un certain increvable vêtu d’un masque de hockey traînait dans son cercle infernal ; sans quoi "pizza face" n’aurait jamais pu revenir sur le devant de la scène...
Pull rouge et vert, joli chapeau, visage cramé, démarche classieuse et vannes diaboliques...
Masque de hockey, crâne déformé, absence totale d’expressions et d’humour, machette...
Mais réveillez-vous que diable, c’est non seulement de Freddy Krueger que je vous parle, mais aussi de Jason Voorhees ! Fuck, dude !
Vous avez de la chance : Freddy Vs. Jason se charge, pré-générique, de vous remettre dans le bain (de sang), avec quelques images chocs de la série des Freddy (avec une large préférence pour le troisième opus, ses jeux de veines, sa séquence "Welcome to prime time, bitch !" et autres vers mangeurs de Patricia Arquette) commentées par Krueger himself - host affirmé de cet affrontement mis en scène façon WWF, attendu par des légions de fans depuis - pfiou ! - super longtemps, au moins. Et le plus grand poseur de l’univers des slashers de s’épandre sur le manque de mémoire évoqué plus haut, responsable de sa (trop) longue absence.
Très efficace, cette introduction destinée autant aux fans qu’aux néophytes, nous offre le plaisir de voir Robert Englund sans le masque, dans un résumé widescreen de l’épisode pilote de la série Freddy’s Nightmares, réalisé par Tobe Hooper en 1988. Sans transition, Ronny Yu assure le fan service, obligatoire dans tout slasher qui se respecte : une baignade nocturne ouverte à grand renfort de nichons (c’est d’ailleurs une règle pour la suite, tout cadrage de Monica Keena ou Katharine Isabelle se devant d’intégrer leurs poitrines respectives - cf photo en pied de page).
Enter the contender, Jason Friday the 13th Voorhees, ressuscité par Freddy pour aller semer la terreur à Springwood, et raviver les souvenirs douloureux d’une communauté maintes fois meurtrie. Et faire revivre, par cauchemars interposés, notre antihéros préféré.
Générique, hectolitres de sang numérique, musique de porc. Revival. Joie.
Trois adolescentes - Lori (Monica Keena), Gibb (Katharine Isabelle aka Ginger dans Ginger Snaps) et Kia (Kelly Destiny’s Child Rowland) - passent une soirée tranquille entre filles chez Lori sur Elm Street, jusqu’à ce qu’arrivent deux bons vieux relous. Le premier est le détestable "petit ami" de Gibb ("généreuse" demoiselle qui mérite bien mieux si vous voulez mon avis !), le second rêve de fréquenter l’intimité de son hôte involontaire. Kia dans tout ça, aimerait bien que Lori oublie son amour de jeunesse - un dénommé Will disparu quatre ans plus tôt, à l’âge de quatorze ans - et se livre aux joies du plaisir physique avec ce détestable inconnu. Franchement, si vous étiez Jason, ne serait-ce pas là la soirée idéale ?
Qu’à cela ne tienne, le gentil bourrin s’en prend au couple de jeunes fauteurs, Gibb et son goret de copain, en guise d’apéritif. Et sur ce premier meurtre à Springwood, Ronny Yu assure grave : après un acharnement à la machette, déceptif car hors-champ, le réalisateur nous livre une superbe rupture d’adolescent, plié à l’envers dans un lit "clic-clac" par Jason.
Magnifique débordement de violence, très sec. Applaudissements.
A partir de là malheureusement, c’est comme qui dirait la pente descendante. Le scénario fait fi de toute cohérence et s’embourbe à tel point que le spectateur en vient à se demander si les bobines sont projetées dans le bon ordre. Il y a bien évidemment le plaisir de retrouver Freddy - et Jason aussi, j’y reviendrais - mais le vilain ganté ne dispose que de peu d’espace onirique pour étaler les innovations morbides qui constituaient, dans les années 80, sa signature. Par ailleurs même si l’on est ravi de revoir Katharine Isabelle, force est d’accepter que la demoiselle comme le reste du casting, tente de rivaliser avec les "acteurs" de Black Mask 2 : City of Masks. Lochlyn Munro - interprète du Deputy Scott Stubbs - est à ce titre un paroxysme de non-jeu et de regards vides.
Déception. Parfois même, ennui.
Et puis quand même, au terme d’une bonne grosse heure de film, on en arrive au cœur de ce projet tant de fois fantasmé : l’affrontement à proprement parler de nos deux monstres favoris. Et là si vous me passez l’expression, peut-être inappropriée face à tant de violence, c’est comme qui dirait le bonheur. Ronny Yu se réveille (à croire qu’il a fait exprès de plomber son film pendant une heure pour donner plus d’inertie à cette dernière partie) et s’arme de l’humour qui avait déjà transcendé son Bride of Chucky : flipper géant avec Jason, combats délirants au corps à corps, coups de machettes à gogo, geysers de sang, mains coupées et blagues gestuelles sur la branlette, victimes à la Samuel Jackson dans Deep Blue Sea, brutalité aberrante étirée en longueur et j’en passe... la grande classe doublée d’une grosse claque, assurément !
Cadeau. Bonheur retrouvé. YES !
Du coup Ronny Yu parvient in extremis à sauver son film, jusque là tout de même étonnamment mal réalisé. Il reste dommage que l’idée de base, excellente (faire de Jason une victime, une entité manipulée et donc d’une certaine façon positive !!!), n’ait pas été mieux exploitée, tout comme cette séquence nous montrant Jason "chez lui", superbement glauque. Au final, ce n’est pas Freddy qui ressort vainqueur, cinématographiquement parlant, de cette rencontre au sommet pourtant introduite comme lui faisant honneur, mais bien le Tueur du Vendredi. D’ailleurs si l’on devait vraiment choisir une filiation à Freddy Vs. Jason, ce serait très certainement - brutalité oblige - celle des Vendredi 13. Après l’excellent Jason X, voici donc que mon cœur bascule à nouveau, pour une créature pourtant simpliste...
Pour conclure donc, Freddy Vs. Jason est un film bancal, véritable roller coaster en ce sens qu’il offre autant de hauts que de bas. Si les bas sont très bas (le scénario proprement aberrant, le jeu des acteurs), les hauts sont tout de même très hauts aussi (le duel final je le répète, est d’ores et déjà MYTHIQUE !). On attend donc la suite avec impatience mais je doute qu’il en soit de même pour les nouvelles générations, pour qui ce spectacle autoréférentiel et semi-réussi (ou semi-raté selon les points de vue) n’aura à mon avis que valeur de curiosité, passéiste et risible.
Pourtant, Freddy et Jason, c’est quand même autre chose que Wishmaster et Leprechaun, non ? Espérons qu’un second opus (et oui !) parvienne à convaincre tout le monde sur la longueur, et non sur un simple tiers de film délicieusement primitif !
Freddy Vs. Jason est sorti sur les écrans français le 29 octobre 2003.






