Freeze Me
Pour sa dixième réalisation, Takashi Ishii nous offre un film sans complaisance qui résume sa vision de la société nippone à l’égard de la femme... c’est dur, et ça fait froid dans le dos...
Chihiro (Harumi Inoue), une jeune femme vivant dans une province du nord, est violée par trois hommes qui filment la scène. Cinq ans plus tard, alors qu’elle vit et travaille dans la capitale tokyoïte, l’un de ses trois agresseurs ressurgit du passé et exige d’elle un asservissement total, en attendant l’arrivée de ses deux autres compères...
Takashi Ishii nous sert ici son sujet de prédilection, à savoir la perception de la femme au sein de la société japonaise ; la "femme japonaise" constamment rabaissée par son mari, qui n’est là que pour servir l’homme et s’occuper des enfants. Cette "femme japonaise" qui n’a pas droit à la parole... Ishii nous montre donc que même lorsque la femme est victime du plus horrible des crimes, à savoir le viol, elle est considérée comme étant sale, méprisable et même coupable ; A ce sujet, l’un des violeurs dit à Chihiro : "[...]c’est de ta faute ! Tu es trop belle, trop sexy[...]", pire, l’un d’eux ira jusqu’à lui dire qu’elle n’est que par son "trou"( !). La faute incombe donc toujours à la femme, sous-être idéal dans une société où elle n’est pas à sa place. Chihiro a honte de ce qui lui est arrivé. Elle garde ce traumatisme au plus profond d’elle, jusqu’à ce qu’il éclate dans une démence macabre la plus totale.
Traité par n’importe qui d’autre, Freeze Me aurait pu tourner au rape movie de base, destiné à chatouiller la libido du public masculin... et un sentiment effroyable m’envahit à l’idée de ce que Wong Jing en aurait fait... Ouille ! Heureusement Ishii n’est pas Wong Jing, et on se trouve à des années lumières des Raped by an Angel...
Chihiro, déjà marquée par son viol, va subir à nouveau les humiliations imposées par ses trois tortionnaires revenus au pas de charge... Mais au fur et à mesure, le comportement de l’héroïne d’Ishii va changer ; Se retrouvant seule face à ses bourreaux sans personne sur qui compter (son petit ami, en bon mâle, se rendant compte de l’impureté de sa chère et tendre, va la rejeter), Chihiro va sombrer dans une sorte de folie morbide... Le premier meurtre, pas réellement prémédité, contient toute sa rage, son désespoir et le traumatisme de son viol enfouit au plus profond de son être. L’ "arme" du crime est une bouteille remplie d’eau... mais la brutalité de la scène est très éprouvante. Si la violence visuelle du film est indéniable (jamais gratuite), c’est avant tout psychologiquement que Freeze Me est difficile ; enfermée dans la solitude, la détresse de Chihiro est palpable, nous met mal à l’aise, grâce au réalisme extrême apporté par Takashi Ishii à sa réalisation, et à l’excellente prestation de son actrice principale Harumi Inoue, femme "Ishiiène" dans toute sa splendeur. Pour en revenir à l’aspect violent, que certains décrieront forcément, il faut savoir que Ishii nous montre la souffrance de son héroïne (tant physique que psychologique) pour que soit accepté le châtiment infligé à ses tortionnaires...
Il y aurait tant de choses à dire sur Freeze Me, film somme de la carrière du cinéaste, qui y fait ressurgir les fantômes de ses héroïnes passées, torturées, brutalisées, abusées par des hommes sans scrupules pour qui la femme est un objet de servitude sexuelle et rien d’autre... Takashi Ishii, cinéaste féministe, réalise là une œuvre mémorable, très dure et dérangeante qui envoie un pavé dans l’inconscient collectif nippon (et masculin), dont personne, y compris le spectateur, ne ressort indemne...
Pour le moment rien, hormis un éventuel DVD bootleg...


