Sancho does Asia, cinémas d'Asie et d'ailleurs
Hong Kong | Category III

From The Queen To The Chief Executive

Hong Kong | 2000 | Un film de Herman Yau | Avec Lee Sheung Man, Ai Jing, Tang Shu Wing

Avant 1997, le cinéma hongkongais a passé tellement de temps à retranscrire sa peur face à la rétrocession qu’il en a oublié de porter un regard critique sur ce que le pays traversait à l’époque.
Nourri - consciemment ou inconsciemment suivant les réalisateurs - par cette crise d’identité qui perdure encore aujourd’hui, mais sous une forme plus sournoise, le cinéma du pays que l’on appelle désormais l’ex-colonie britannique a exprimé beaucoup de doutes face à l’avenir, sans jamais se retourner sur son passé. Pas qu’il ne se soit jamais attaqué à des problèmes historiques ; seulement, quand c’était le cas (comme dans la série des Once Upon a Time in China), l’objet d’analyse était l’histoire de la Chine continentale, utilisée pour transposer une situation que personne ne semblait vouloir exprimer clairement. Tsui Hark n’est pas le seul réalisateur dont la carrière a été hantée par cette dualité antagoniste ; les films de Ann Hui et Kirk Wong, pour ne citer qu’eux, font souvent référence à de telles crises d’identité.

Aujourd’hui, le cinéma HK a changé. Il n’est pas mort, comme certains spécialistes se plaisent à le proclamer, il a juste évolué - tout comme la crise qui a toujours caractérisé la SAR. La seule chose qui n’a pas changée : son axe principal est, et demeurera toujours, le divertissement. Que celui-ci soit à plusieurs niveaux de lectures (ce qui est tout de même souvent le cas) n’est pas vraiment la question. Le problème, c’est que certains sujets mériteraient d’être abordés de front, dans une optique cinématographique dénuée de problématiques d’exploitation commerciale.

From The Queen To The Chief Executive est l’un des premiers films véritablement tourné dans cette seule optique. La surprise est d’autant plus grande qu’elle nous vient de Herman Yau, grand gourou des CAT III les plus extrêmes que HK nous ait offerts au cours des dix dernières années (Ebola Syndrome, The Untold Story).

From The Queen To The Chief Executive débute sur un fait divers qui se déroule en 1985 : un groupe de "street kids" transforme une tentative de vol en un double meurtre, sur le lieu symbolique de Braemar Hills. Ming, un adolescent trop faible pour ne pas se retrouver impliquer dans cet acte ignoble, est appréhendé. Trop jeune pour être condamnée à la peine capitale, il est condamné à l’incarcération "au bon plaisir de sa Majesté". Ce qui veut dire que, en tant que mineur, il est emprisonné pour une durée indéterminée, jusqu’à ce que le Chief Executive décide d’une peine légale. En même temps, la jeune Ling, trop naïve pour comprendre que son oncle lui impose un harcèlement sexuel sournois, pousse sa tante devant un camion dans le but de la tuer ; et Leung, idéaliste forcené, fait ses premiers pas dans le monde de la lutte ouvrière.
Douze ans plus tard, six mois avant la rétrocession. Ming est toujours en prison, tout comme 22 autres détenus qui n’ont toujours pas de peines attribuées. Ling entre en correspondance avec lui au hasard d’un concours d’écriture. Outrée par la situation de ces criminels juvéniles, elle décide de solliciter l’aide de Leung, devenu membre du Conseil, pour tenter de changer l’état des choses avant que la Chine ne rentre en scène...

Dans les mains de bon nombre de réalisateurs, From The Queen To The Chief Executive serait sans doute devenu un plaidoyer larmoyant au nom des droits de l’homme, hésitant faussement entre deux positions opposées pour prétendre à l’impartialité, comme c’est souvent le cas dans les films de "procès" à l’Américaine. L’un des principaux intérêts du film de Herman Yau est justement d’expliciter sa position : les coupables demeureront éternellement coupables de leurs crimes. La question n’est pas ici de les faire passer pour de victimes de la société ; il s’agit juste de dénoncer un abus illégal du système carcéral HK, qui, paradoxalement, donne l’avantage à des adultes censés être plus responsables de leurs actes. Le problème de cette prise de position - au cours de laquelle le réalisateur se permet d’accuser nominativement les dirigeants en place, aussi bien anciens qu’actuels - est justement qu’elle concerne des gens qui resteront, à juste titre, des criminels aux yeux de la société.

Le personnage de Ling, magnifiquement interprété par la superbe Ai Jing, incarne bien ce cas de conscience qui relève encore une fois d’une dualité : tout d’abord certaine de bien faire, elle connaît des moments de doute lorsqu’elle découvre l’horreur de la réalité de l’acte auquel Ming a participé. Le jeune assassin, quant à lui, ne cherche jamais à se détourner de sa responsabilité sociale. Au contraire, comme tous ses camarades détenus, il souhaite juste mériter son emprisonnement.

Le mot clé de From The Queen To The Chief Executive, qui se voit traversé de séquences réalisées en état de grâce par un Herman Yau décidément méconnaissable, est justement la responsabilité, qui intervient ici à tous les niveaux de la société HK. Le gouvernement d’abord, et surtout celui sur le point de partir, qui préfère laisser la Chine traiter un dossier épineux à sa place ; mais aussi en chaque personnage du film, chacun plus ou moins représentatif d’une partie de la société. Ling doit porter la responsabilité d’un crime qui ne sera jamais puni, puisqu’il demeure secret. Ming porte celle du sien, qu’il n’a pas réellement choisi d’éxécuter, contrairement à Ming, mais qui, comme il est connu, peut lui être pardonné - ce qui se révélera, au final, être l’épreuve la plus difficile de toutes. Quant à Leung, il doit assumer son implication démesurée dans une société à "quatre rues, quatre sens interdits", tout en trouvant le moyen de se faire respecter de sa famille qu’il délaisse.

En filmant tout ce petit monde sur un même pied d’égalité, Herman Yau assume quant à lui la responsabilité d’un discours dénonciateur avec une humanité qu’il n’avait jamais présentée jusqu’alors. Avant de réaliser Master Q 2001, seul véritable film HK pour enfants des dix dernières années, il aura aussi réalisé un des premiers films véritablement adultes de la SAR, avec une force et une détermination critique rares. Une perle, tout simplement !

Après la superbe édition de Master Q 2001, Chinastar fait encore une fleur à Herman Yau avec une très belle édition DVD de From The Queen To The Chief Executive : la copie - au format - est tellement belle qu’on la croirait presque anamorphique, les sous-titres sont excellents (et contiennent même quelques explications supplémentaires pour aider le spectateur étranger !), le 5.1 est de bonne qualité, même si quelques voix débordent un peu sur les enceintes arrières de temps en temps, provoquant un écho désagréable. Les suppléments ne sont pas sous-titrés, mais vu que le making-of ne dure que 3 minutes, ce n’est pas excessivement grave.

- Article paru le mardi 16 octobre 2001

signé Akatomy

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