Getting Home
Zhao et Liu sont assis dans un café en train de trinquer ; ou plutôt Zhao est assis, pendant que son ami est écroulé sur la table, ivre mort. Zhao propose pourtant un dernier verre pour la route, que son comparse reçoit sur le visage. Un dernier pour la route car, oui, ces messieurs s’apprêtent à entreprendre un voyage. C’est dans un bus que nous les retrouvons, et c’est lorsque l’équipage est pris au piège de bandits de petits chemins que nous découvrons la vérité : Liu est décédé. Zhao a promis de le ramener chez lui, non incinéré comme l’exige pourtant la loi, pour être enterré près des siens et éviter à son âme d’errer dans le monde des vivants. Séduit par la loyauté du vieil homme, le chef des bandits lui reverse même l’intégralité de leur butin et laisse le bus reprendre sa route. Seulement voilà : les voyageurs, eux, ne sont pas séduits par la loyauté de Zhao, et encore moins par la présence d’un mort à leur côté. C’est le début d’un long périple pour Zhao, le corps de son collègue de travail sur les épaules. Un périple au travers de la Chine, le confrontant tour à tour à la générosité et au mépris d’une population diverse et colorée, qui mettra sa volonté et cette loyauté tant appréciée à l’épreuve.
Zhang Yang, le réalisateur de Shower, propose avec Getting Home un road-movie iconoclaste et doux-amer, entre fable humaine et portrait social d’un homme généreux, dont l’abnégation est telle qu’il évite longtemps de reconnaître en cet homme qu’il porte sur son dos, sa propre solitude. Pour ce faire, la mise en scène de Yang oscille entre le comique classique de situation et le portrait désenchanté de laissés pour compte abusés par leur compatriotes, désireux de leur reprendre le peu qu’ils leur ont donné. Evidemment, le film/périple est rythmé par les différentes rencontres que Zhao fait en chemin, certaines désolantes, d’autres surréalistes, comme cet enterrement dans lequel Zhao fait irruption. Maquillant son ami en épouvantail pour pouvoir se déplacer librement, l’homme en profite pour pleurer sa peine avant de se restaurer à l’oeil... et d’affronter l’interrogation délicate du défunt qui n’est pas vraiment mort (interprété par l’illustre Wu Ma), mais met en scène une cérémonie et paye des pleureurs, pour se laisser une dernière chance d’avoir l’illusion d’être aimé. Touché par la sincérité de la tristesse de Zhao ainsi que par son honnêteté - il lui avoue de but en blanc qu’il est venu pour manger - le vieillard l’assiste même dans sa quête.
Cette scène, pour le moins décalée, est symbolique de la complexité émotionnelle de Getting Home : le constat d’une vie échouée, se terminant seule, est fait sans regret ni véritable tristesse, mais avec une certaine compréhension du chemin qui a conduit les différents protagonistes cocnernés à ce stade de leur vie. Un constat que Zhao se fait à cette étape à lui-même, intérieurement, et qu’il lui faudra encore ressentir en silence à plusieurs reprises avant d’être capable de l’exprimer, mais qui est au coeur de sa décision autant altruiste que personnelle. Car s’il accepte de porter Liu jusque chez lui, c’est aussi - et peut-être même avant tout - pour tromper la réalité de sa propre solitude. Sans son ami en effet, que lui reste-t-il dans la vie ? Zhao décidera même un temps, épuisé, de s’allonger aux côtés de Liu pour profiter des paysages chinois, et s’éteindre ainsi en contemplant la beauté de son pays. Heureusement d’autres rencontres lui permettront d’aller de l’avant.
Au terme de son périple - je ne vous dirais pas s’il est réussi ni même de quelle façon celui-ci s’achève - Zhao aura accompli les premiers pas qui le mèneront vers une vie nouvelle. Il sera de plus assisté par le même gouvernement qui, généralement, est tenu pour responsable de la souffrance des plus pauvres. C’est là l’une des vraies réussites de Getting Home : il ne s’attache jamais a rejeter la faute sur les autres, n’est jamais pessimiste ou condamnateur. Il expose tout au plus certaines personnalités peu généreuses, alors que la majeure partie sont d’une grande bonté. Zhang Yang fera même chanter à son héros la joie de l’appartenance au Mainland, dès lors que celui-ci aura véritablement décidé d’en faire partie, en tant qu’être vivant et communiquant. Le réalisateur signe avec Getting Home une fable de vie d’une grande simplicité, interprétée avec un talent incroyable par Zhao Benshan, qui régale les yeux et le coeur avec une justesse émotionnelle remarquable.
Diffusé en compétition officielle au cours du 9ème Festival du film asiatique de Deauville, Getting Home n’a malheureusement rien remporté du tout... si ce n’est un flagrant succès public ! Le film devrait normalement sortir sur les écrans français dans le courant de l’année 2007.



