Ginger Snaps
Dans la famille "Bonjour, je suis un super film qui n’a pas connu les honneurs d’une sortie en salles alors que j’ai fait un carton mérité sur le circuit des festivals", je voudrais... Ginger Snaps (à ne pas confondre avec l’actrice porno seventies homonyme). Les lecteurs fidèles (car il faut bien les récompenser s’ils existent) se souviendront que j’ai déjà mentionné ce film canadien à l’occasion de la sortie française du Dog Soldiers de Neil Marshall cet été. "Dans quel contexte ?" me demanderont ceux qui ne s’en souviennent pas (ou qui ne l’ont pas lu, car c’est légal). Et bien dans le cadre d’un mini-historique du film de loups-garous contemporain, genre délaissé par les salles obscures, et condamné à survivre uniquement par le biais de la vidéo et de la série sans fin des Hurlements (The Howling), depuis que La malédiction du loup-garou (ça vous dit peut-être quelque chose) ne passe plus à la télé...
Ginger Snaps (parfois rebaptisé Ginger Wolf) nous propose de faire la connaissance de deux soeurs, Brigitte et Ginger. Respectivement agées de 15 et 16 ans (l’une garçonne alors que l’autre est très féminine), les deux frangines ont un goût très prononcé pour la mort, qui les a amenées à être considérées par leurs camarades comme des parias, des "freaks". Un exemple de cette fascination : les sœurs élaborent des mises en scènes de suicides très graphiques pour un exposé scolaire en images. Unies contre tous, Brigitte et Ginger se sont d’ailleurs fait une promesse : soit elles ont quitté leur ville minable à l’âge de seize ans, soit elles se suicideront ensemble ("Out by sixteen. Or dead in this scene. Together forever."). Pour Ginger, l’heure fatidique approche...
Mais l’animal qui décime violemment tous les chiens du quartier va chambouler les plans de nos deux sociopathes : Ginger se fait en effet mordre, une nuit de pleine lune, par la dite créature. Les hormones de l’adolescente se réveillent : elle devient plus aggressive, son appétit sexuel - jusqu’ici absent - est démultiplié. Lorsque son corps lui-même commence à changer, Brigitte est bien obligée d’accepter l’improbable : Ginger s’est fait mordre par un lycanthrope, et est en passe d’en devenir un elle-même...
Si Ginger Snaps est aussi intéressant, c’est non seulement grace à son ambiance particulièrement morbide, mais avant tout à son approche du passage de l’état de fille à celui de femme. Vous me direz que la métaphore est classique ; vous aurez d’autant plus raison que c’est à de telles "évolutions" que le mythe du loup-garou se rattache depuis toujours. Seulement ici, John Fawcett (réalisateur sur de nombreuses séries télé, dont Xena et Nikita) ne se contente pas d’enrichir un film "de monstre" avec un background social, il opère une véritable symbiose entre deux conceptions, livrant le premier authentique "teenager/monster movie" (à l’exception peut-être de Teen Wolf avec Michael J. Fox ;-).
Ainsi, Ginger Snaps ne peut devenir un film de monstre qu’une fois la métamorphose de Ginger complète. Entre temps - c’est-à-dire pour le plus gros du film - ce sont autant les transformations de Ginger que les effets que celles-ci entraînent qui intéressent le réalisateur. Tous les aspects de la métamorphose sont d’ailleurs traités de façon quasi-documentaire : pas de séquences démentielles à la Loup Garou de Londres, mais plutôt une perturbation du quotidien de façon presque factuelle, histoire de conserver la stupeur de Ginger face à son état changeant. Ainsi, nous ne découvrons ces métamorphoses qu’une fois qu’elles ont survenues, pour ne jamais risquer de ralentir ou dévier le cours du récit au prix d’un quota de "séquences à effets-spéciaux".
Comme souvent dans les films qui savent prendre le temps de s’intéresser à leurs personages, le casting participe de beaucoup aux immenses qualités de Ginger Snaps. Les deux jeunes actrices sont fascinantes, aussi bien la belle Katharine Isabelle (Ginger) qui possède un visage presque naturellement "bestial", que la moins exacerbée Emily Perkins, parfaite dans son rôle de garçon manqué. Dans le rôle de la mère des deux sœurs, Mimi Rogers parvient à être aussi effrayante (pour son côté ultra-puritain) que touchante (dans certaines de ces attitudes vis à vis de ses filles - et surtout de son mari). Elle apporte au film une touche subtile d’humour "familial", sans jamais pour autant le sortir du cadre morbide et résolument sérieux dans lequel il s’inscrit.
En dépit de quelques longueurs au cours de sa conclusion purement fantastique, Ginger Snaps est donc un film excellent, intelligent et remarquablement interprété. Rajoutez à cela une partition sublime, qui mélange thrash et morceaux symphoniques éthérés et tristes, et vous comprendrez parfaitement que les jurys des festivals de Toronto, que les membres de l’International Horror Guild ou encore de l’Academy of Science Fiction, Fantasy & Horror Films lui aient attribué les prix qu’il méritait. D’où notre déception à le voir arriver si tard et surtout si discrètement chez nous, par le biais d’une sortie directe en DVD. Appel aux distributeurs : sauvez le cinéma de genre sur grand-écran, ce n’est pas comme si la matière manquait !
Ginger Snaps est disponible en DVD zone 2 chez TF1 Vidéo. La copie est très belle, mais on regrette que la VO ne soit disponible qu’en stéréo, alors que la VF bénéficie de 5.1 et de DTS... Les sous-titres français sont de plus imposés sur la VO. En guise de suppléments, les trailers français et américains, ainsi que les répétitions des actrices (qu’est-ce qu’elles sont sérieuses, dis donc) et un mini-docu sur "la création de la bête".




