Hansel & Gretel
Eun-soo est au volant de sa voiture, en route pour le chevet de sa mère. Au téléphone, sa petite amie désapprouve son périple de fils bienveillant, lui qui ferait mieux d’assumer, à ses côtés, la responsabilité d’une paternité en devenir. L’altercation retient malheureusement l’attention du jeune homme, qui effectue une violente sortie de route vers la forêt en contrebas. Une forêt si dense, si l’on en croit son récit en off, qu’on ne saurait l’imaginer... Il y déambule quelques instants, désorienté, avant de s’évanouir. C’est à la lueur de la lanterne d’une apparition délicate, jeune fille toute de chaperon rouge vêtue, qu’Eun-soo retrouve ses esprits. Il suit ce guide improbable jusque chez elle, une maison que l’on pourrait croire faite de pain d’épice. Pourtant, dans cette demeure au cœur des bois, où trois enfants vivent en rois, les adultes – leurs parents ? - semblent nettement moins à l’aise, nerveux même. Alors qu’Eun-soo échoue à retrouver l’amas de tôle qui lui servait de véhicule, sans cesse redirigé vers la maison par le dédale végétal, les parents disparaissent en laissant une note à son attention, l’incitant à s’occuper des enfants le temps de leur absence. Ça tombe bien : les gosses, qui vivent au gré de repas qui sont autant d’odes extravagantes à la confiserie, ne semblent pas décidés à aider Eun-soo à sortir de la forêt...
De la courte filmographie de Yim Phil-sung en tant que réalisateur, seul Antarctic Journal est parvenu jusque chez nous, d’abord lors d’une projection sur les planches de Normandie en 2006, puis grâce à une sortie DVD, inespérée, fin 2007. Fascinant périple blanc, vrai-faux film d’horreur jouant habilement d’un fantastique insaisissable, incertain, cette expédition vers le point le plus froid de la planète a marqué bon nombre de spectateurs, par son originalité et sa force cinématographique. Qu’importe en effet, de percevoir la frontière entre la réalité et le reste, si l’œuvre parvient à se nourrir de cette perméabilité pour susciter un cauchemar cohérent ? Antarctic Journal n’impose rien, fait du fantastique un simple possible, une menace parfois, sans jamais être flou pour autant. Tout l’inverse, d’une certaine façon, de Hansel & Gretel.
Car au vu de l’étrange aventure d’Eun-soo, c’est la réalité qui devient un possible lointain, hors de portée. Le fantastique s’affirme de façon explicite, et il ne joue pas le rôle de perturbation sinon de loi, identitaire et narrative. Dans sa description en préambule, d’une forêt pourtant inimaginable, le héros de Yim Phil-sung annonce déjà le paradoxe du film, puisque cette forêt que l’on ne peut concevoir, vit tout de même à l’écran. Eun-soo poursuit sur cette voie dans chacune de ses réactions face aux enfants terribles, captifs et geôliers à la fois, d’un temple à l’imagination qui régit l’Enfance. Il perçoit le caractère irréel de sa situation et l’accepte, est témoin des pouvoirs de Man-bok, l’aîné, et ne s’en étonne presque pas, croit aux fantômes et autres espaces illogiques sans jamais remettre en question sa perception, même s’il se souvient que, quelque part, la vie l’attend, a besoin de lui. Du coup, notre propre perception peu à peu s’inverse, le fantastique se banalise, et le concret devient distant.
Pourtant la réalité s’immisce – contamination inverse à bon nombre de films fantastiques – dans cette prison très Andersen, au travers d’émotions et perversions qui constituent le cœur de Hansel & Gretel ; et ce cœur finalement, en dépit d’une apparence sucrée, est extrêmement noir. On en viendrait presque à vouloir consciemment réfuter cette réalité ; ce qu’Eun-soo, en prenant systématiquement ou presque, la défense de l’enfance, fait lui aussi, d’autant qu’il donne à sa propre histoire les traits d’une fiction. Il faut dire aussi que son passé est similaire à l’éternel présent de Man-bok et ses sœurs, de recherche d’une figure parentale et de sentiments partagés, et qu’il le définit encore aujourd’hui.
Hansel & Gretel est, comme Antarctic Journal avant lui, une œuvre déstabilisante et atypique. Loin de l’esthétique forcément glaciale de son prédécesseur et des sonorités abstraites de Kenji Kawai, ce nouvel opus travaille des teintes chaudes, une musique enrobante, pour constituer d’une certaine façon un miroir d’intentions à son prédécesseur. Ce miroir qui n’existe plus, dans la pièce magique où les enfants archivent, en quelque sorte, leur imagination ainsi que ses impasses. Un lieu où réside, à mon sens, la véritable leçon de Yim Phil-sung : c’est lorsque l’on prend conscience de l’incapacité de l’imagination à construire le réel, que l’on s’y résigne, que l’Enfance disparaît. Et c’est pourtant dans cette illusion nécessaire que vit le cinéma, tel que le conçoit si intelligemment Yim Phil-sung.
Hansel & Gretel est sorti le 2 avril 2009 en DVD en France, sous la bannière de Wild Side. L’édition est très belle – la copie restituant à merveille le grain presque suranné de certaines séquences – et s’étale sur deux disques pour proposer moult suppléments (making of, scènes coupées, featurettes sur les décors, la musique et les sfx, ...).
Remerciements à Benjamin Gaessler et Wild Side.




