Hasami otoko
Une lycéenne en vélo, rejoint un couple insolite en rase campagne : Chika et Yasunaga l’attendent en effet pour l’assassiner. Chika elle, semble peu apprécier les intentions de son compagnon, ce qui n’empêche pas la jeune fille de mourir, une paire de ciseaux plantée, méthodiquement, dans la gorge. La mise en scène ne satisfait pas Yasunaga, aussi le duo recommence-t-il avec une nouvelle victime...
Cela fait un an maintenant, que la police de Meguro enquête sur les meurtres du « Hasami Otoko », l’homme aux ciseaux, sans la moindre piste viable. Chika et Yasunaga traquent une nouvelle victime, mais quelqu’un leur coupe l’herbe sous le pied : « leur » étudiante est victime d’un crime copycat. Alors qu’ils découvrent le corps, les assassins sont surpris par un homme. Chika n’a d’autre choix que de se débarasser des preuves qu’elle porte dans son sac à main, et devenir l’un des témoins de l’affaire. Une affaire qui avance plus rapidement avec l’arrivée de Horinouchi, profiler, à la tête de l’enquête. Pendant ce temps là, le couple Chika / Yasunaga semble affirmer un caractère irréel, comme si sa moitié masculine n’existait qu’aux yeux de la jeune femme... et qui donc veut profiter de la notoriété du Hasami Otoko pour commettre ses propres crimes ?
De plus en plus rare derrière la caméra, c’est en 2005 que Toshiharu Ikeda, responsable de la série des Evil Dead Trap, qui figure au panthéon du cinéma horrifique japonais, porte le roman de Masayuki Shuno sur grand écran. Le résultat est un film iconoclaste, à la fois très typé seventies comme pouvait l’être, dans son côté giallo, le premier Evil Dead Trap, et résolument post-moderne dans son approche narrative nouvelle ; mais aussi naïf autant que courageux. Un film paradoxe, dual, à l’image de son couple protagoniste.
L’originalité principale de Hasami otoko, est de livrer une enquête policière en faisant de ses protagonistes criminels des héros. Ikeda avec un pré-générique presque onirique, impose la réalité de la folie douce de Chika et Yasunaga, avant de dédoubler l’enquête policière au cœur du film : tandis que la police cherche à mettre la main sur l’homme aux ciseaux, les criminels enquêtent sur un crime qui leur est attribué mais n’est pourtant pas le leur. Dans le même temps, Ikeda cède à la mouvance très contemporaine du doppelganger en jetant le doute sur la réalité de Yasunaga. Le réalisateur toutefois, ne joue pas avec le personnage la carte du film à twist ; tout au plus cherche-t-il à mettre en lumière la folie de Chika, sans retirer pour autant à son incarnation un caractère fantastique certain : il travaille ainsi explicitement à nous prouver, non pas l’irréalité de Yasunaga, mais son immatérialité. Le résultat est étonnant, à la fois d’une grand facilité scénaristique, et d’un intérêt humain remarquable. Car l’étude de cette femme qui ne peut être folle, « puisqu’elle est la folie elle-même », tient alors avant tout de l’affectif pur, et non du simple « portrait of a serial killer » matiné de fantastique grand public.
Grand public, Hasami otoko l’est sans l’être. Sa réalisation lorgne du côté des polars seventies avec une trace d’expérimental light ; la musique, pourtant en phase avec ce caractère rétro, impose un décalage certain avec le contenu visuel, et renforce cette idée que la violence de l’histoire, les crimes en eux-mêmes, n’intéressent que peu Ikeda. Ce qui le motive, c’est un drame humain, une relation au-delà de la mort, et l’ensemble des rapports que peuvent entretenir des hommes fascinés par une incarnation de celle-ci, et ce d’autant plus qu’elle s’affirme féminine. Kumiko Aso, en plein contre-emploi, est étonnante de justesse au cœur de cet édifice instable, entre passéisme figuratif et modernité narrative. Mais le cœur de Hasami otoko à n’en pas douter, réside dans la nonchalance insolente d’Etsushi Toyokawa, dont la voix est l’un des vecteurs de fantastique du film. Une mention spéciale au réalisateur par ailleurs, pour avoir osé confié l’incarnation de la modernité reniée que constitue Horinouchi, à un Hiroshi Abe dont le visage souriant devient ici lieu de dissimulation. Cette dissimulation prise à revers qui est un peu le propos de Hasami otoko, le film misant sur l’affirmation quasi-consciente d’une pathologie face à des hommes autrement plus tortueux que les criminels « déclarés ». Le résultat est d’autant plus efficace qu’il s’approprie les ficèles du cinéma contemporain tout en refusant de céder à leur caractère ostentatoire et souvent trop identitaire ; Ikeda les rajeunit tout en les vieillissant. Hasami otoko, sans être une révolution, est donc une rétro-évolution, volontaire et fascinante ; on n’en attendait pas moins de la part du grand Ikeda.
Hasami otoko est disponible en DVD au Japon, sous-titré anglais, mais aussi en DVD zone 1, tout autant sous-titré ; faites votre choix !



