Haunters
Le pouvoir de vouloir.
C’est normalement l’apanage des sequels dans la cinématographie super-héroïque ; pourtant Haunters, premier film de Kim Min-seok dont la plume s’est illustrée sur The Good, the Bad, the Weird (sur lequel il a aussi officié en tant qu’assistant réalisateur de Kim Jee-woon), s’ouvre sur la genèse d’un nemesis, avant même de lui opposer une figure positive. Le jeune Cho-in, les yeux bandés, suit tant bien que mal sa mère, qui le traîne sans tenir compte de sa jambe de bois au milieu d’une foule urbaine. Parvenus chez eux, celle-ci lui explique qu’il ne doit jamais enlever son bandeau, à part pour se laver le visage ; ce que le garçon fera pourtant, incapable de laisser son père, qu’ils tentaient de fuir, battre sa mère comme plâtre. Et le paternel, comme hypnotisé par le regard de sa progéniture qu’il qualifie lui-même d’inhumaine, de se tordre le cou de ses propres mains. N’y tenant plus, la maman de Cho-in tente d’étouffer son fils, mais le singulier bambin parvient à s’échapper.
Il faut attendre une vingtaine d’années – alors que les pouvoirs suggestifs de Cho-in lui permettent de subvenir impunément à ses besoins – pour faire la rencontre de Kyu-nam et de ses compères immigrés, Ali et Boba. Simplet, le jeune homme travaille dans une casse automobile jusqu’à ce qu’il se fasse faucher par une voiture. Doté d’une étonnante capacité de récupération, Kyu-nam a tôt fait de se remettre sur pieds, et de trouver un emploi chez Utopia, société de prêt sur gage dont le patron vit sous la terreur d’argent qui disparaît comme par enchantement. Un jour, Kyu-nam est témoin de l’intervention de Cho-in, venu subtiliser quelques liasses à son patron. Témoin, oui, car le gentil benêt, qui se plait à gravir les échelons d’une hiérarchie pourtant unipersonnelle, semble presque insensible au pouvoir de Cho-in…
Il y a, entre le pré-générique de Haunters, substrat morbide de tout un pan du cinéma coréen, fait de violences domestiques rurales, et la rencontre Looney Tunes de Kyu-nam, un changement de ton pour le moins radical, tout à l’image d’un ambivalent duo protagoniste. Plus qu’une simple rupture, cette opposition constitue l’une des caractéristiques du métrage, qui contrebalance sans cesse la froideur psychopathe de Cho-in (brillamment interprété par un Kang Don-won peu habitué aux rôles négatifs) avec l’humour qui gravite autour de Kyu-nam, à qui toute méchanceté est étrangère. Ces contrepoints, surréalistes – comme une voiture qui pile au point de se dresser sur ses roues avant -, surviennent par à-coups brefs et intenses, aveuglants comme la fusée éclairante bricolée par Ali pour tenter de freiner Cho-in. Étonnamment, plutôt que de briser la cohérence funeste du métrage, les gags qui parsèment Haunters l’aident à affirmer sa force et son originalité. Alors que bon nombre de ses homologues, asiatiques ou occidentaux, en lycra ou en armure, pêchent par excès péremptoires, jamais l’opera prima de Kim Min-seok ne se prend trop au sérieux ou se boursoufle.
Le réalisateur trouve ainsi un équilibre parfaitement stable, quelque part entre l’intimiste et le grand spectacle, l’angoisse et le rire, ne tentant jamais de gonfler son sujet ou d’avoir les yeux plus gros que le ventre. Si certains pourront reprocher à Haunters de claudiquer comme Cho-in, et donc de pâtir d’une certaine inertie – que ne saurait tromper une bande son metal à plusieurs reprises usurpée -, je comprends l’envie de Kim Min-seok de laisser la rage de Kyu-nam se construire sans s’abandonner à l’excès, au détour d’une poignée d’altercations appuyées qui suffisent à profiter de l’ignominie très cinégénique de Cho-in (les « suicides » en masse et autres charges automobiles). Haunters n’est pas exceptionnel car, à l’image de son héros, il n’a aucune envie de l’être. Il existe simplement dans la colère d’une quiétude perturbée, partageant la rageuse envie de vivre de Kyu-nam (excellent Go Su) avec une énergie remarquable, conscient, et en paix - chose rare -, avec ses lacunes et mérites. Peut-être que c’est dans cette mesure, pas moyenne mais simplement juste, que Haunters, ne lui en déplaise, est tout de même une œuvre d’exception ; doublée d’un hymne bienvenu, en ces temps dépressifs, à la résilience.
Haunters est disponible en DVD coréen, sous-titré anglais, dans une triple édition qui contient notamment la bande originale du film en CD.





