Hectopascal
Dans une petit ville portuaire sujette aux typhons, la réputation de Mio, entrepreneuse de pompes funèbres, n’est plus à faire ; c’est du moins ce qu’un ami de Daikichi lui explique alors que celui-ci vaque à son inoccupation désintéressée, la comparant à un vautour couche-toi là, prête à entreprendre ses clients en deuil de plus d’une manière… Aussi lorsque Daikichi tombe sur une petite annonce de Mio, à la recherche d’un collaborateur, le jeune homme y voit-il une manière de percer ce mystère, et peut-être susciter quelque fantasme, autant que de céder à la pression parentale. C’est un fait : une autre pression, atmosphérique, travaille Mio, et suscite chez elle un désir réflexe, qu’elle a tôt fait d’exprimer à son nouvel employé, désemparé par son apathie, spectrale et sexuée…
Dès les premières images d’Hectopascal, l’interprétation de l’ex-actrice AV Honoka plonge cette réalisation de Tôru Kamei sous une pression insaisissable, de l’environnement, de l’esprit, du cœur… Mal-être évident et pourtant étrangement anodin – le fait d’une musique tranquille, sans aucune emphase négative, comme rythmée par la cruelle inexorabilité du quotidien, autant que de postures et démarche monocordes – que dégage ce corps restreint et lancinant, qui s’incarne en regards indirects et paroles franches, s’exprime à l’oreille, en susurrements, pour mieux clamer sa nature déconcertante... Sous la caméra de Kamei, Honoka explose littéralement dans un non-jeu qui va lui comme un gant, semble ployer sous le poids de cette sexualité qu’elle exprime dans la pluie et le vent, délivre sur un même ton prestations mortuaires et invitations à l’ébat, pour faire de son personnage, spectre très féminin, un lieu d’érotisme constant, dans l’apathie comme dans l’abandon, résultantes d’une même blessure de la vie.
Le rapport à l’écran de Mio et Daikichi – elle si petite et sûre d’elle, puisque condamnée à l’érotisme coupable ; lui si grand et hésitant, incapable de saisir comment l’émotion peut à ce point côtoyer le libertinage - offre à Tôru Kamei un terreau fantastique de cadrages, employés à jouer de force et vulnérabilité paradoxales. La façon dont le réalisateur contraint les corps à se mesurer et s’affranchir de rapports justement – de taille, de maturité, d’épanchement – pour exprimer les émois de l’un et de l’autre, en silence ou chuchotements, est fascinante. Les confrontations du film, préliminaires bardés d’anticipation, sont bien plus longs que ses ébats, et profitent du regard posé de Kamei, qui n’use d’aucun effet de mise en scène, se contente de cerner la débordante intimité de Mio. Tout au plus le réalisateur s’abandonne-t-il, un peu, à un fétichisme discret pour les genoux de son actrice, qui attirent plus d’une fois son objectif.
A plusieurs reprises dans Hectopascal, l’érotisme se fait plus traditionnel – comme lorsque Daikichi cède à l’appétit bienveillant de son amie Kiyomi, qui est allée jusqu’à se faire retirer les dents pour parfaire ses gâteries, et offre son postérieur au passage à l’âge adulte de notre héros – mais c’est bien dans les évocations crues de Mio, à regard détourné, qu’il est le plus cinglant. Et que dire de cet instant où elle soutient, enfin, le regard de Daikichi, irréfutable…
Il y a peu de peau et beaucoup d’émotions dans Hectopascal, drame remarquable qui n’oublie jamais d’être humain – la compréhension qu’a Mio de l’irréalité du deuil est très juste – et même drôle à sa façon, d’un cynisme un peu noir et funeste mais qui, par une certaine nonchalance, ne devient jamais méchant ou vulgaire. Le film est autant le lieu d’une apathie onaniste que d’une empathie sans réserve. Portrait d’un traumatisme singulier et désespérément humain, Hectopascal puise dans sa résignation sexuée une acceptation de la vie, du sexe et de la mort, réellement belle et touchante, en plus d’être durablement émoustillante. Simple, et superbe.
Hectopascal est disponible en DVD japonais, sans sous-titres, ainsi qu’en DVD US chez Tokyo Erotique, sous-titré anglais.





