Hierro
María, mère célibataire et biologiste marine, emmène son fils Diego passer une journée sur l’île volcanique d’El Hierro, dans l’archipel atlantique des Canaries. Au cours du voyage en ferry, María s’assoupit pendant que le garçon, un peu plus loin, vaque à son enfance. Lorsqu’elle se réveille, Diego est introuvable – et le restera. Les forces de l’ordre locales, échouant à retrouver sa trace, ne parviendront qu’à confirmer sa disparition.
Six mois plus tard, María a développé une hydrophobie qui l’éloigne de son travail, l’isolant un peu plus dans son deuil incertain. Lorsqu’on l’invite à revenir sur l’île pour procéder à l’identification d’un corps, María, accompagnée de sa sœur Laura, est persuadée qu’il ne s’agit pas de Diego. Désireux de faire parler l’ADN, les policiers lui demandent de devenir insulaire quelques jours, le temps d’attendre le retour du juge à même d’autoriser le prélèvement. La jeune femme, plongée dans un cauchemar d’impressions, d’anticipations et de paranoïa, se persuade alors que son fils est vivant sur l’île, quelque part, captif.
Au début de Hierro, alors que María, paniquée, se défait de sa somnolence pour partir à la recherche de son fils, les vagues qui se forment dans le sillon du ferry dessinent fugitivement un masque de mort. En imprimant ainsi la crainte d’une mère sur pellicule, le film de Gabe Ibáñez se pare d’un fantastique latent, subliminal, qui retranscrit de façon insidieuse le cauchemar éveillé d’une femme, confrontée à l’extinction de la maternité. Le fantastique, même horrifique, est certainement plus supportable que la froide réalité ; aussi la perception altérée, fortement paranoïaque, de María contamine-t-elle l’écrin de cette blessure, de mère et de cinéma, qui s’incarne dans le conflit, tacite, entre la stérilité magnétique des paysages volcaniques d’El Hierro, et la fertilité, crainte et pervertie, de l’océan qui l’entoure. La démarche, intelligente, justifie l’emphase du film sur l’esthétique, sa forme étant plus dense que son fond. Et permet à Hierro, travesti en film d’horreur, d’asseoir une filiation profitable avec L’Orphelinat, dans les traces du succès duquel il a été produit.
Pas question toutefois de taxer Gabe Ibáñez de simple opportunisme ; la photographie d’Alejandro Martinez, élément essentiel de l’identité du film, œuvre toute entière à l’instauration d’une symbolique fantastique qui retranscrit pertinemment, à n’en pas douter, la douleur de la perte d’un enfant, la terreur que suscite l’incertitude. Et si le malaise est explicite à l’échelle macroscopique du film, ce sont ses traits les moins ostentatoires qui impressionnent le plus. Les images fugaces – un bibelot au regard mouvant, un enfant aux yeux vides – qui font osciller le film, entre perception et réalité. L’image participe par ailleurs constamment de cet acharnement de Hierro, à affirmer que María ne saurait encore être une mère, prisonnière d’une entité géographique stérile, voire contraceptive, alors qu’elle se refuse à l’eau. Pire encore, ses attitudes, ses habits, sa démarche hantée, automatique, réduisent María à l’état de petite fille.
Ce qui n’empêche nullement Hierro d’être un film de femmes. Elena Anaya, fascinante, s’y défait de sa sexualité d’ordinaire exacerbée, au point que même sa nudité en semble dénuée. D’ordinaire aguicheuse, l’actrice n’est jamais tant nue que dénudée, pour mieux exprimer l’amoindrissement de son personnage. Aux côtés de l’actrice, Bea Segura, dans le rôle très humain d’une Laura encombrée de la douleur de sa sœur, rayonne d’une beauté apaisante, tandis que Mar Sodupe incarne un incroyable trouble féminin, de complétude volée. Au-delà et au cœur des images magnifiques de Hierro, elles contribuent à parfaire la palette d’émotions qui font du film une expérience triste mais superbe, bien plus intéressante que son écriture, assez convenue, aurait du lui permettre d’être. Hierro, pur film de mise en scène, contribue ainsi à enfoncer le clou d’une évidente supériorité ibérique en terme de fantastique, réel ou induit.
Hierro sort en DVD chez Wild Side le 24 novembre prochain. Image superbe, et présence entre autres suppléments du court-métrage Maquina, du même réalisateur.
Remerciements à Benjamin Gaessler.






