Hirokazu Kore-Eda
Still Walking de Hirokazu Kore-Eda est sorti en France le 22 avril. Les amateurs de cinéma japonais sont décidément gâtés en cette première partie de l’année. Quelques semaines après la sortie du très réussi Tokyo Sonata de Kiyoshi Kurosawa, c’est un nouveau film de tout premier ordre qui leur est proposé. Pour le politique, la patience sera encore de mise pour quelques jours avant la sortie de United Red Army, de Kôji Wakamatsu, le 6 mai. Après l’interview-conférence de presse de Kiyoshi Kurosawa, nous avons eu tout le temps qu’il nous fallait pour interroger Hirokazu Kore-eda sur un film personnel, mais aussi très universel.
Sancho : Pourquoi réaliser de nouveau un film ayant la perte comme thème principal ?
Hirokazu Kore-Eda : Celui-ci trouve son origine dans un fait immédiat, proche de moi : la mort de ma mère. Cela m’a intéressé de faire un film sur cette absence qui m’était très proche.
Justement, par rapport à cela, j’aurais voulu savoir si la prise de distance a été aisée, et comment s’est déroulé le tournage en termes d’expériences ?
J’ai commencé à faire l’expérience de cette souffrance et pour ne pas m’y perdre, je savais qu’il fallait créer de la distance. Et une façon de le faire, c’était de faire rire de moi, la personne en deuil.
Il s’agit d’un film personnel. Avez-vous mis quelque chose de vous dans un des personnages ?
Il y a un évidemment le personnage principal, Ryota, le fils cadet qui ne pense qu’à lui même et pas aux problèmes des autres. Ça c’est vraiment moi (rires). Bien sûr la position est différente. Il y a aussi le beau fils de Ryota. Ce petit garçon n’est pas forcement très enfantin, il a un regard assez froid sur tout ce qui se passe devant lui. Il me ressemble beaucoup quand j’étais petit. J’avais un peu ce regard sur le monde.
Comment avez-vous pensé la lumière, qui est très sculpturale comme dans Nobody Knows ? Quelles consignes avez-vous données à votre responsable de la lumière ?
La situation était différente pour Nobody Knows qui a été tourné en appartement et en lumière naturelle. Still Walking a lui été réalisé en studio, mais j’ai insisté auprès du responsable de la lumière pour qu’il recrée une lumière naturelle. C’est très compliqué, il ne faut pas tout éclairer afin de bien conserver des parties sombres. Je souhaitais obtenir cet effet sculptural dont vous parlez.
Comment organisez-vous votre travail avec les acteurs pour arriver à ce naturel ?
Le travail avec les acteurs varie en fonction des films. Lorsque l’on travaille avec des enfants, il n’y pas beaucoup de textes écrits et je les fais répéter sur place. Il y a plus d’improvisation. Pour les adultes, et ce film-là en particulier, tout était très écrit, presque jusqu’aux points et aux virgules. J’ai organisé des lectures pour voir si les acteurs s’appropriaient bien leurs textes, s’ils correspondaient bien à leur être profond. Nous avons ensuite procédé à des répétitions pour voir si les dialogues pouvaient fonctionner, c’est-à-dire s’ils pouvaient être prononcés en mangeant ou en faisant la vaisselle. Ils ont éventuellement encore été réécrits après ces lectures et ces répétitions. J’ai beaucoup travaillé sur les registres de langage. Par exemple, en faisant dire donc au lieu de parce que. Pour ce film-là, il était important que les paroles prononcées aillent avec la voix de la personne qui les prononçait. C’est ce qui donne cette impression de naturel.
Quelle a été la réception du film au Japon ? A quelle réception vous attendez-vous en France ?
Au Japon, beaucoup de personnes de 50 ou 60 ans qui ne fréquentent plus tellement les cinémas y sont allés et riaient beaucoup. Ils avaient l’impression de se voir eux-même à l’écran. C’est assez rare que l’on rit en regardant mes films. J’étais très content. Les spectateurs disaient : c’est notre famille, c’est exactement nous.
J’avais écrit cette histoire que je pensais très personnelle et très japonaise. Comme il n’y pas de conversation et que les problèmes ne sont pas résolus, je m’attendais à ce que les spectateurs trouvent l’histoire sans queue ni tête. J’étais prêt à m’excuser et à expliquer que j’avais vu les familles autour de moi vivre de cette façon. Mais au contraire, tout le monde m’a affirmé avoir reconnu leur famille. Et pas seulement au Japon, mais aussi dans les autres pays. Les gens me disent qu’ils croient voir leur propre mère, eux-mêmes... Je suis étonné de son universalité.
Avec quelles impressions ou réflexions voudriez-vous que les spectateurs sortent de la projection de votre film ?
J’essaie de ne pas penser aux réactions que je souhaiterais voir chez les spectateurs de mes films mais certaines m’ont fait très plaisir. Je ne m’y attendais pas car ma philosophie, c’est de ne pas attendre quelque chose. Mais j’ai reçu beaucoup de coups de fils de gens qui m’ont dit que le film leur avait donné envie de prendre contact avec leurs parents, de passer l’été avec eux.
J’ai beaucoup aimé la manière dont vous dévoilez petit à petit des informations sur les différents membres de la famille, comme cela le spectateur entre doucement dans l’intimité de la famille. Vous faites un portrait impressionniste de la famille qui est bien plus riche que si vous aviez donné toutes les informations aux spectateurs.
Merci, c’est intéressant. Je suis très content de cette approche, de dire qu’il s’agit d’un film impressionniste. En japonais, une peinture, c’est kaiga et film, c’est eiga. On remplace ainsi le le mot utilisé pour film par celui désignant une peinture.
Je n’avais pas envisagé le film selon votre approche, mais je savais que je ne voulais pas raconter toute l’histoire. Je voulais la raconter par petits bouts et que ce soit l’imagination du spectateur qui les mette ensemble et reconstitue l’image finale qui est celle de la famille. C’est exactement le processus des impressionnistes. Je ne voulais pas raconter l’histoire d’une famille en disant qu’elle est comme ci, comme ça. Avec l’aide des indices qui évoquent le passé – la mort du fils il y a quinze ans ou la chanson il y a trente ans - et les projets pour l’avenir, on élargit le temps. Le temps qui a l’air horizontal d’une journée prend une dimension verticale. Grâce au passage du temps et à l’ensemble des indices, le spectateur reconstitue l’image de la famille.
Le spectateur peut ainsi s’approprier le film.
Pour s’approprier le film, le spectateur doit faire des efforts. Il doit se projeter dans le film et non s’identifier.
Pour ce film, mais également plus généralement, quelles sont vos influences et pas forcément cinématographiques ?
Pour ce film-là, j’avais prévenu mon équipe qu’il n’y aurait ni citation, ni référence ni d’influence reconnues de tel ou tel. Il n’y a rien à dire car je ne le voulais pas. Plus généralement, il y a beaucoup de maîtres du cinéma mondial que j’aime et respecte. Je pense que je suis influencé par beaucoup de gens. Je peux citer Hou Hsiao-hsien, Ken Loach et encore plein d’autres. En France, Truffaut, Bresson, Renoir, Rohmer... Ces gens-là, je les aime aussi beaucoup. Ils sont tous en moi et peuvent ressortir d’une façon ou d’une autre non identifiées.
Quel est votre prochain projet, Air Doll je crois ?
J’ai déjà fini le tournage et je dois encore terminer le montage puis le mixage à mon retour à Tokyo. Air Doll raconte l’histoire d’une poupée gonflable qui reçoit un cœur, sort en ville, tombe amoureuse de quelqu’un et petit à petit devient un être humain. C’est une histoire fantastique, un style complètement différent de Still Walking et de mes autres films.
Remerciements : Matilde Incerti et Audrey Tazière. Photos : Kizushii
Traduction : Catherine Cadou
Interview réalisée en compagnie de JB Guegan d’Excessif.


