Hur Jin-ho
L’histoire de Sancho does Asia est d’une certaine façon, intimement liée au réalisateur coréen Hur Jin-ho. A l’origine, l’objectif du site était en effet de s’intéresser au cinéma coréen, et Chrismas in August, le premier film du réalisateur, fut l’un de nos premiers coups de cœur, nous livrant deux pistes précieuses pour notre parcours de découverte : Shim Eun-ha et Han Seok-gyu. Rencontre avec Hur Jin-ho, à l’occasion de la projection de son dernier film, April Snow, dans la section Panorama du 8ème Festival du film asiatique de Deauville.
Sancho : Il semblerait que, depuis votre premier film, Christmas in August, votre cinéma s’intéresse exclusivement aux différentes phases du processus amoureux, dans des cas de figure bien particuliers...
Hur Jin-ho : Si j’ai choisi d’œuvrer dans le mélodrame, c’est avant tout en pensant à montrer de différentes façons la rencontre entre un homme et une femme, à l’exprimer cinématographiquement. Mais je ne voulais pas le faire dans un cadre banal, générique. Ce qui m’intéressait, c’étaient des situations un peu spéciales, des contextes différents. Ainsi pour April Snow, le contexte amoureux est-il très différent de celui de mes deux films précédents, beaucoup plus extrême.
Dans Christmas in August, j’ai dépeint une relation amoureuse à ses débuts : les protagonistes avaient des sentiments, pas vraiment « mignons », mais certainement naïfs - dans un sens positif. Dans mon second film, One Fine Spring Day, j’ai souhaité montrer les sentiments d’un homme qui pense que l’amour est éternel, qu’il ne change jamais ; alors que la femme dont il est épris, elle, bien qu’elle soit amoureuse, est convaincue que l’amour, les sentiments changent, évoluent au fil du temps. C’est ce contraste qui m’intéressait. Dans April Snow, je souhaitais mettre en lumière les deux facettes contradictoires de l’adultère, à savoir que, bien que l’acte soit presque toujours perçu comme quelque chose de laid, de négatif, pour les amants protagonistes il peut s’agir d’une histoire d’amour sincère et vraiment magnifique.
Votre réalisation dans April Snow, qui fait la part belle aux silences, offre paradoxalement une très grande présence aux amants absents...
La question se pose pour l’homme et la femme qui sont allités, inconscients, à l’hôpital, de savoir quelle est exactement la nature de leur relation. Est-ce une relation charnelle sans importance, ou alors un amour fou, ou du moins aussi intense que celui partagé par les deux protagonistes principaux, In-Su et Seo-Young ? Le plus probable est que les deux histoires d’amour soient identiques, que ces deux personnes s’aiment, avec les mêmes difficultés pour concrétiser leurs sentiments. Cet homme et cette femme souffrent, car ils sont tous les deux mariés. Je voulais montrer cette conscience au travers du personnage de In-Su et de son attitude vis à vis de sa femme : à la fin du film, il ne lui pose aucune question. Il la comprend, parce qu’il se dit qu’elle a vécu une histoire similaire à la sienne. La femme d’In-Su comme le mari de Seo-Young, sont certainement très présents dans leurs esprits tout au long de l’histoire, c’est pourquoi ils occupent une telle place.
Dans le portrait de la prise de conscience des deux héros du film, vous faites preuve d’une véritable délicatesse cinématographique. Une illustration magnifique de cette délicatesse est la première scène d’amour entre les deux héros, qui montre une vraie découverte, une passion superbement retenue... comment avez-vous abordé le tournage de cette scène ?
Nous avons tourné pendant très longtemps, environ dix heures au total. Au cours de ce laps de temps, je n’ai pas vraiment donné d’indication précise aux deux comédiens ; la caméra bougeait en suivant leurs mouvements. Je leur ai juste dit que je souhaitais que la scène soit belle, esthétique, en leur précisant qu’ils jouaient deux personnes qui n’avaient jamais été infidèles auparavant, et qu’il fallait donc aborder la scène de manière hésitante, avec des corps tremblants. Ensuite, ils l’ont jouée de façon naturelle.
Vous ne portez au final aucun jugement dans April Snow sur les différentes relations que vous mettez en scène ; vous souhaitez juste qu’elles soient reconnues, et faites appel à la nature dans ce sens, au travers de cette « neige en avril », pour réunir les êtres séparés...
Il est très rare d’avoir de la neige et des fleurs en même temps, mais cela s’est produit en Corée il y a deux ans. Il a vraiment neigé alors que les fleurs commençaient à éclore. Pour moi, les deux héros ne peuvent pas continuer leur relation amoureuse, car ils portent en eux une souffrance, une douleur liées à leur passé. Je pense donc que c’est une histoire difficile à poursuivre. Néanmoins en tant que réalisateur, je voulais que l’histoire se termine bien pour eux ; la neige était donc une excuse pour leur permettre de se retrouver. Il est vrai que cela possède un caractère irréel, presque fantastique, et c’est justement ce que je souhaitais : que cet instant de partage soit quelque chose qui relève du miracle.
Interview réalisée lors du 8ème Festival du film asiatique de Deauville, le vendredi 10 mars 2006 à l’Hôtel Normandie. Remerciements à Karine Ménard.



