I’m a Cyborg, but that’s OK
Ce film, nous dit Park Chan-wook, est censé être une bouffée d’oxygène entre Lady Vengeance et son prochain film, au titre évocateur d’Evil Live. On comprend bien, et c’est tout à son honneur, qu’après une trilogie moralement épuisante et parfaitement maîtrisée il ait voulu se tourner vers quelque chose de plus débridé et fantaisiste. Cependant, ce n’est pas parce qu’on tourne un film chez et sur les fous que l’on peut tout se permettre sans rien expliquer. A partir dans tous les sens en laissant le soin de l’interprétation au spectateur, on finit par rendre la bouffée d’oxygène difficilement respirable.
Suite à une tentative de suicide, Young-goon est admise dans une institution psychiatrique. Se prenant pour un cyborg, elle refuse de s’alimenter, autrement qu’en suçant des piles et en écoutant son transistor. Il-soon, interné lui aussi, désespère de la voir dépérir et décide, par amour, de lui redonner le goût à la vie.
Pour qui est fan d’un Tim Burton ou d’un Kitano (période Kikujiro), les quelques lignes ci-dessus laissaient augurer d’une très belle histoire d’amour, pleine de poésie et de légèreté. Le côté fantaisiste de l’histoire, presque onirique, est d’ailleurs particulièrement bien représenté sur l’affiche du film. Patatras ! Force est de constater que Park Chan-wook s’est planté. La principale raison en est le total manque de cohérence du film. Bien que se déroulant dans un asile, au milieu des personnalités les plus loufoques et à ce titre doté d’un grain de folie rafraîchissant, le film n’aurait pas du faire l’économie d’un référent auquel le spectateur puisse se raccrocher pour rentrer dans l’histoire. Ici, aucun personnage (même les médecins, au comportement absurde), aucune émotion (on oscille en permanence entre rejet et amour) ne permet de réellement pénétrer ce monde, d’y évoluer en toute jouissance par comparaison avec le réel. Tout part dans tous les sens, au fil d’une imagination débridée : thèmes, protagonistes, situations, etc. Même le ton du film n’est pas maîtrisé de bout en bout. Fable naïve par instants, film guerrier par d’autres, Park Chan-wook n’a pas résisté à inclure les scènes de pure violence qu’il affectionne. Ceci est probablement dû à cette logique étrange qui l’a conduit à élaborer cette histoire d’amour à partir de l’unique vision d’une femme déchargeant du 9mm à travers ses doigts...
Ces interludes meurtriers sont, comme à son habitude, de toute beauté, mais complètement inutiles. Pire encore, ils polluent la trame et forcent le spectateur à s’en détacher, lassé devant ce joyeux bordel. Le maigre développement des personnages principaux ne facilite pas, là encore, l’implication émotionnelle. C’est d’autant plus dommage que le portrait des fous « secondaires » est plutôt bien fichu et leur permet de voler sans difficulté la vedette à nos deux héros, apathiques, inexpressifs, bref, ennuyeux ("I’m bored, is it OK ?"). Park Chan-wook a beau faire montre de sa maîtrise habituelle dans la mise en image, avec l’utilisation originale de couleurs plus vibrantes (bleu ciel, vert pelouse et jaune soleil, les couleurs du paradis), le jeu des acteurs principaux et l’incohérence globale du film le rend vide et froid, alors qu’il aurait dû être chaud et bourré d’émotions.
C’est le propre d’un grand génie de ne pas tomber dans la facilité et de maîtriser ses pulsions. Au vu de cette oeuvre bancale, patchwork basé sur une idée ténue et au final non assumée, Park Chan-wook semble avoir décidément du mal à se renouveler. Le film avait du potentiel, c’est dommage.
I’m a Cyborg, but that’s OK a été diffusé au cours de la 9ème édition du Festival du film asiatique de Deauville, dans le cadre du Panorama, et devrait connaître une sortie en salles dans le courant de l’année 2007.




