Il Camino
Saslaya et son petit frère muet, Darío, vivent aux abords d’une décharge avec leur grand-père depuis que leur mère a quitté le Nicaragua pour le Costa-Rica huit ans auparavant. N’en pouvant plus des abus sexuels du vieil homme, Saslaya décide de s’enfuir et d’emmener son frère sur le chemin de l’immigration clandestine, dans l’espoir de retrouver cette mère dont elle est sans nouvelles. D’enthousiasmes en hésitations, de fleuves en jungles, les enfants croisent des figures récurrentes, parmi lesquelles se détachent celles d’un occidental, marionnettiste cryptique dont le spectacle explicite la fin de l’innocence, et de la nicaraguayenne qui l’accompagne dans son périple, parallèle à celui des exilés en devenir.
A bord d’un bateau fragile, à proximité de la fin de leur voyage, les clandestins anxieux partagent l’histoire de leur vie, pour justifier leur fuite vers le Costa Rica. Saslaya est la dernière à parler, et conte comment son père est décédé alors qu’elle était toute petite, sa mère partie alors qu’elle n’avait que quatre ans. Cette confession qui est celle d’un personnage, est aussi celle d’une personne réelle ; la protagoniste et sa jeune interprète se confondent dans une histoire commune, le réel s’immisçant dans cette fiction qui ne l’est que partiellement. Cette réalité, c’est la réalisatrice Ishtar Yasin Guttierez qui nous l’a explicitée à l’issue de la projection d’Il Camino au cours de la 30ème édition du Festival des 3 Continents. Plutôt que terminer de rendre ce conte initiatique en forme de cul de sac déprimant, cette anecdote lourde de sens apporte en vérité en off, une lueur d’espoir au sombre tableau social dépeint par le film.
Le chemin emprunté par Saslaya et son frère n’en est pas vraiment un, simple transition d’un enfer vers un autre, qui suit la véritable route empruntée par les clandestins nicaraguayens dans leur tentative de trouver une herbe plus verte chez leurs voisins. Purgatoire en mouvement, entre un abus familial et un autre, plus large, Il Camino en dépit de ses enfants protagonistes, ne possède que peu d’élans de vie véritables. Depuis le brasier poussiéreux de la décharge, balayée par des vents assourdissants, à la lugubre demeure de l’occidental incarné par Jean François Stévenin, Saslaya vit la confirmation d’une condamnation dans laquelle elle entraîne son jeune frère, plutôt que l’avènement d’un espoir. Bien entendu, leurs rencontres sont parfois légères, empruntes des joies de l’instant qui constituent le quotidien des plus jeunes. Mais la menace pèse sous la forme de la prophétie scandée, telle une litanie, par la figure de l’étranger, entre morale et mise en garde. "Un dia. Cual dia. Tal dia". Un jour, quel jour, ce jour-là... la fable qu’il met en scène dans son théâtre ambulant, et qui donne corps à cette ritournelle exempte d’interrogations, est explicite : c’est dans l’innocence de la jeune fille que naît son funeste destin. Telle la femme sublime qui accompagne Stévenin, projection gracieuse de l’héroïne, Saslaya ne pourra pas échapper au piège tendu par une société qui se nourrit de la misère. Ce n’est qu’une question de "quand" ; échéance non pas d’une réalisation - le mal est déjà fait, ancré dans ces terres volcaniques - mais d’une prise de conscience.
Il Camino ploie dès ses premières images, très sombres, sous cette menace que Saslaya embrasse sans s’en rendre compte. Si Darío pouvait parler, nul doute qu’il lui expliquerait, lui, qu’ils courent à leur perte, ainsi que l’illustrent ses tentatives régulières de quitter sa sœur, de la laisser poursuivre seule ce voyage qui ne mène à rien. On comprend pour notre part les motivations de cette enfant, qui se superposent à celles de l’actrice. Ishtar Yasin Guttierez lui offre l’opportunité de vivre cette quête qui sera un échec partiel - Sherlyn Paola Velasquez n’ayant à ce jour pas retrouvé sa mère - au service d’une docu-fiction pédagogique. Si le traumatisme est inévitable pour le spectateur, le caractère personnel du film offre à Sherlyn la chance de survivre à son voyage, d’échapper au piège du tourisme sexuel - de revenir. La démarche de la réalisatrice costaricaine fait, pour la première fois semblerait-il, de ce chemin une route à double sens. C’est en cela finalement, que ce difficile Camino échappe au nihilisme.
Film diffusé dans le cadre de la sélection Continent J (films à destination d’un public jeune) de la 30ème édition du Festival des 3 Continents (Nantes).



