Il Cartaio
L’inspecteur Anna Mari est tranquillement occupée à repousser les avances de l’un de ses collègues, lorsqu’elle reçoit par mail une étrange proposition : un ravisseur l’invite à se connecter à un jeu de poker en ligne pour l’affronter. L’enjeu de cette partie de cartes ? La vie d’une touriste anglaise, sur la disparition de laquelle Anna était justement en train d’enquêter... Assistée de ses collègues qui croient à une blague, Anna mord à l’hameçon du Cartaio, et le rejoint sur son terrain de jeu virtuel. Accessoirement, elle rejoint aussi la victime potentielle, au travers d’une webcam qui transmet une peur bien réelle. Le supérieur d’Anna n’en démord pas : il croit à un coup de bluff et lui ordonne de ne pas jouer. Sous les yeux ébahis d’une dizaine de policiers, la jeune femme est assassinée. Anna fait alors la rencontre de John Brennan, détective londonien d’origine irlandaise, qui a demandé sa mutation en Italie à la suite d’une interpellation qui a coûté la vie à un mineur. Alors qu’ils étudient le peu d’indices trouvés sur le premier cadavre, l’assassin invite à nouveau les forces de l’ordre à l’affronter online. Anna et John font rapidement appel à Elmo, jeune prodige du poker virtuel, pour tenter de vaincre le joueur de cartes...
Après l’injustement décrié Non Ho Sonno (Le sang des innocents) - giallo hardcore dont la fin laissait à désirer, mais qui marquait pour le réalisateur un véritable retour aux sources -, Dario Argento s’essaye au Giallo « de son temps », délaissant la bestialité redoutable de son prédécesseur pour un thriller quasi mainstream. Dès le générique du film, Argento explicite son intention de livrer un film différement, moins esthétisant, s’intéressant non pas à la mise en place de sa propre logique visuelle (comme c’était le cas sur les Suspiria, Inferno et autres Tenebrae), mais à l’adaptation à la logique « d’un autre ». Cet autre, c’est à la fois le cinéma américain au sein duquel Argento a échoué (le montage rapide des premières scènes du film en est une illustration évidente), mais surtout le « Cartaio » lui-même, joueur/metteur en scène auquel Argento décide de céder les rènes de sa réalisation et de sa narration.
Alors que la plupart des ouvertures des films du réalisateur s’attardent sur la mise en place d’un meurtre combinant mécanique morbide, violence et esthétisme, souvent d’un point de vue subjectif, Il Cartaio met en place le terrain de meurtre d’un autre, bénéficiant non seulement d’un point de vue propre mais de sa liberté de mise en scène (le ravisseur/meurtrier, par le biais du flux de sa webcam). Argento nous place aux côtés de son héroïne, et se positionne lui-même en tant que spectateur d’une violence principalement hors-champ - une nouvelle entorse à son cinéma qui, s’il joue énormément sur le hors-champ, fonctionne avant tout sur son interaction illogique avec le cadre de l’action. Il devient dès lors difficile d’aborder Il Cartaio comme un véritable film de Dario Argento ; même si son inestimable talent s’exprime malgré lui, notamment au cours de séquences en intérieur qui rappellent sa maîtrise des espace clos.
Pourtant, la base du cinéma du réalisateur italien reste la même : il s’agit toujours pour ses héros d’intepréter correctement un indice - visuel et/ou sonore - qui fausse leur compréhension d’une série d’images. Alors que dans les premiers films d’Argento la vision des protagonistes se superposait de façon habile au cadre de l’image perçue par le spectateur, forçant notre implication, Il Cartaio joue le jeu d’une distance, qui est celle d’une réalisation par procuration. Le film fonctionne alors sur deux plans différents : le premier, celui du couple Anna/John, est le terrain d’émotions humaines, variées et justes - qui permettent notamment à Claudio Simonetti de s’épancher caricaturalement sur ses claviers le temps d’une scène d’amour inutile. Le deuxième est le terrain de jeu de la violence et de la mort : Argento y serait plus à l’aise - car le Cartaio, cet "autre", c’est lui - et pourtant celui-ci est plus restreint. Bien entendu, ces deux terrains sont amenés à se croiser : le réalisateur nous offre alors le plus beau plan du film (John trouvant la demeure du meurtrier, au sein d’un nuage de pistils de fleurs), mais aussi sa plus grande frustration : la notion d’un véritable « jeu » meurtrier, roulette russe à dimension humaine, qui ne sera qu’à peine évoquée.
Au final, Il Cartaio est intéressant dans la filmographie d’Argento, en ce qu’il représente une volonté de s’adapter au thriller contemporain. Le film n’est pas râté en soi, mais l’ombre du Dario version Giallo rôde sur le « film dans le film », tendance Syndrôme de Stendhal, et l’on ne peut s’empêcher de penser à ce qu’aurait été Il Cartaio si Argento s’était « contenté » de le traiter depuis l’autre côté de l’écran. Restent tout de même un talent inné de la mise en scène, quelques notes de la partition de Simonetti (mais on est bien loin de la merveille eighties qu’était la bande-son de Non Ho Sonno), une autopsie hardcore courtesy of Sergio Stivaletti, et bien entendu la superbe Stefania Rocca. Croisement sensuel et aggressif de Catherine McCormack et de Francesca Neri, madame Rocca pourrait devenir à juste titre, la nouvelle muse d’un réalisateur privé des prestations de la plus belle de ses filles.
Il Cartaio est notamment disponible en DVD zone 2 italien chez Medusa Home Entertainment. La copie anamorphique est superbe, ainsi que l’assourdissante (presque trop) bande-son en 5.1, mais on regrette que le film ne soit présenté qu’en italien, avec la possiblité d’afficher des sous-titres... en italien.



