Inland Sea
La poissonnière du village d’Ushimado raconte à sa cliente que le documentariste, Kazuhiro Soda, l’accompagne depuis quatre jours lors de sa tournée. Hilare, elle se demande pourquoi ce travail quotidien qu’elle exerce depuis longtemps lui semble intéressant. Lors de son prochain arrêt, elle entre chez une cliente et semble surprise de son absence avant de se raviser : nous sommes le jour de la semaine où elle prend des cours de chant dans la ville voisine. Une autre personne absente est chez le médecin...
Ushimado est un de ces villages au Japon, mais aussi dans le monde occidental, qui se font de plus en plus rares, habités par une communauté où les voisins ne sont pas des inconnus, mais des personnes que l’on connaît personnellement, voire intimement.
Kazuhiro Soda avait rencontré la poissonnière en accompagnant à la criée le vieux pécheur à l’origine de cette nouvelle œuvre. Logique pour ce village, dont il a été la raison d’exister, le poisson devient pendant cette partie du film le fil rouge de Kazuhiro Soda : du pécheur en mer jusqu’au client final dans le village, en passant par la poissonnière. Ce qui semble l’être également pour le pécheur, Wai-chan, qui âgé de près de 90 ans ne lâche pourtant pas son filet.
Il continue de faire tout de A à Z par lui-même, de la réparation des filets à la vente de ses prises à la criée du village. Il fait son travail avec application, seulement plus lentement et avec plus de difficultés que par le passé. Des scènes filmées avec un regard plein d’humanité par le cinéaste. Inland Sea m’a particulièrement ému quand le vieux pécheur s’éloigne cahin-caha de la criée le dos courbé, sa tâche accomplie. Mais les fins de mois sont de plus en plus difficiles car le prix des équipements ne cesse de progresser tandis que celui du poisson baisse, explique le pêcheur.
La quasi-totalité des personnes présentes à l’écran sont âgées comme dans son précédent film, Oyster Factory. Les jeunes Japonais ne souhaitant pas faire ce travail difficile ont quitté l’endroit pour chercher un emploi ailleurs. Si Oyster Factory montre leur remplacement par des immigrés chinois, Inland Sea montre une autre conséquence du départ de la jeune génération : le village se dépeuple.
Comble de la désertification, même le cimetière perd de ses occupants, entre les tombes de personnes sans descendance et sa localisation sur une colline, qui le rend impossible à atteindre en voiture.
Mais si Kazuhiro Soda dresse le triste constat d’une communauté aux liens sociaux étroits en train de disparaître, les personnes qu’il a choisies de suivre donnent par leur dynamisme une sacrée leçon aux générations plus jeunes. Si le pécheur et la poissonnière sont dans une telle forme, ils le doivent à leur poursuite d’une activité professionnelle intense.
Le cinéaste est ici encore plus présent, comme catalyseur de l’action, que dans ses documentaires précédents, de même que sa femme et productrice, Kiyoko Kashiwagi, qui apparaît à plusieurs reprises à l’écran.
Cette tendance s’affirme à la fin du film, qui est dominée par cette dame âgée, Kumi, qui entre comme par effraction dans le documentaire grâce à la vigueur et la profusion de son verbe. Je me suis demandé si elle possédait bien toute sa tête, comme un écho de Mental, œuvre de 2008 du documentariste sur un hôpital psychiatrique. Elle assure que son fils aveugle lui a été enlevé contre son gré pour être mis dans une institution ; situation qui la conduit à avoir des pensées funestes au terme d’une existence qui n’a pas toujours été facile. Inland Sea se conclut ainsi sur un côté plus sombre de la vieillesse.
Inland Sea a été présenté en compétition lors du Cinéma du réel en 2018.






