L’Intendant Sansho
Au Japon au Moyen Âge, un gouverneur de province est exilé pour s’être opposé à un chef militaire souhaitant augmenter les taxes et recruter des paysans pour l’armée. Sa femme Nakagimi et ses enfants Anju et Zushio prennent la route pour rejoindre la famille de celle-ci, mais sont kidnappés par des bandits. Elle est vendue comme courtisane et les enfants en tant qu’esclaves à Sansho, intendant cruel d’une exploitation agricole, propriété d’un ministre. Avant d’être séparé de sa famille, le gouverneur confie à son fils la philosophie de sa ligne de conduite : Un homme n’est pas humain s’il n’a aucune compassion. Même si tu es dur avec toi-même, sois clément avec les autres. Les hommes sont nés égaux.
Kenji Mizoguchi est reconnu pour le raffinement de sa mise en scène : la beauté et l’élégance de certains passages laissent sans voix. Marchant sur un chemin entouré de susuki, dont les fleurs sont éclairées par la lumière rasante du couchant, la caméra de Kazuo Miyagawa s’élève gracieusement, Nakagimi, ses enfants et leur bonne s’enfoncent dans la campagne à la rencontre de leur destin. La scène touche à la grâce, et nombreusessont celles dans ce film qui vous accompagnerons longtemps. Si Ozu est célèbre pour ses plan à hauteur de tatami, Kenji Mizoguchi privilégie pour sa part les vues en légère plongée.
Le cinéaste japonais réalise une œuvre magnifique sur la cruauté humaine. Jusqu’à quel extrême peut mener le mépris de classe, la femme en étant une à part entière. Le chef militaire et le supérieur du gouverneur ne montrent que du dédain pour les paysans que le père de Zushio défend. Le (mal)traitement des esclaves dans la propriété où sévit Sansho en étant la conséquence directe. Tourné en 1954, les conditions de vie, si j’ose m’exprimer ainsi, ont tout du camp de travail mis en place par les pays de l’Axe pendant la seconde guerre mondiale.
Mais dans cet enfer où ils ont été jetés, les personnages féminins et masculins n’occupent pas les mêmes cercles. Dans les films de Mizoguchi, les femmes occupent le dernier cercle où Dante place les damnés coupables des péchés les plus abominables. Les femmes sont enfermées dans une camisole sociale, dont il est impossible de se libérer. L’asservissement des femmes, réduites le plus souvent au statut de marchandise, est le thème central son œuvre. Il vient d’une expérience personnelle ; l’épisode bien connu de sa vie de la vente de sa sœur à une maison de Geisha par ses parents ruinés.
A la différence des femmes, les hommes ne sont pas condamnés par essence. Leur situation est le résultat d’un choix personnel. Élevé dans la violence, le fils de Sansho préfère fuir pour suivre la voie du Bouddha tandis que Zushio va devenir un fils de remplacement pour l’intendant, dont il accomplit les basses œuvres afin de s’en attirer les faveurs. L’intendant Sansho représente le négatif du père de Zushio. La sœur n’a pas de double et pour cause, elle a été la seule des enfants à vivre selon la philosophie du père.
Même si L’intendant Sancho ne s’achève pas sur une note fondamentalement négative, elle est bouleversante dans le registre mélodramatique, les personnages de Mizoguchi voient s’écraser leurs espoirs par les lois d’airain de la société.
L’Intendant Sansho est l’un des 8 films restaurés en 2 ou 4K de la rétrospective Kenji Mizoguchi distribuée par Capricci sur les écrans français à partir du 31 juillet. Les autres sont : Les Contes de la lune vague après la pluie, Les Amants crucifiés, La Rue de la honte, Yu-sama, Les Musiciens de Gion, Une femme dont on parle et L’Impératrice Yang Kwei-Fei.
Merci à Capricci.







