Ishii & Ishii
L’édition 2004 de L’Etrange Festival annonce la venue de deux cinéastes marginaux Japonais, le vieux maitre des series B de Toei, Teruo Ishii, et Sogo Ishii, pionnier et premier punk du cinéma japonais indépendant. C’est une occasion extraordinaire qu’auront les Parisiens car même au Japon ces deux cinéastes préfèrent demeurer à l’ecart, dans leurs rôles de marginaux.
Teruo Ishii a fait des films qui ont toujours plu aux hommes ; dans les années 60/70, il tourna plus d’une trentaine de films de yakuza, avec la grande star Ken Takakura, mais il fut aussi l’un des rois de l’ero-gro, l’érotique-grotesque : mise-en-scène grand guignol aux couleurs chatoyantes et lumieres délurées, de femmes possédées, torturées... Certains de ses films sont desormais introuvables au Japon. Ces dernières années, il s’est consacre aux adaptations de faits divers, de manga, de romans fantastiques, comme Moju Vs Issunboshi (2001), d’Edogawa Rampo, dans lequel on retrouve Shinya Tsukamoto, ou Neji-Shiki (1998) d’après un manga de Yoshiharu Tsuge, avec Tadanobu Asano. Le plus étonnant est surement Jigoku (1999), version kitsch de la montée puis de la chute de la secte Aum et de son guru, Shoko Asahara. Entouré d’une petite equipe, Ishii a courageusement traité les faits divers qui ont terrifié le Japon des annees 90.
Une jeune fille est invitée par la reine du jigoku (l’enfer) à y rendre visite ; elle decouvre comment les pêcheurs sont condamnés après leur mort ; on devine qu’une place est réservée pour Asahara. La reine est jouée par Michiko Maeda, première actrice à paraitre nue (de dos !) dans l’histoire du cinéma japonais, et qui était disparue des écrans depuis plus de 40 ans, suite à son refus aupres d’un réalisateur qui exigeait qu’elle devoile ses jambes dans un film, en remontant son kimono. Elle tourna dans une trentaine de films à la fin des années cinquante, puis dut se retirer. L’enfer selon Ishii est toujours là : avant ou apres la mort, c’est pareil, comme le dit à la fin du film le personnage joué par le cultissime Tetsuro Tanba.
Sogo Ishii, dont Le labyrinthe des rêves et Gojoe ont déjà été montrés en France, vient de realiser Dead End Run, sa troisième collaboration avec le tandem Tadanobu Asano / Masatoshi Nagase (qui vient de fêter ses 40 ans !). Durant les annees 90, Ishii s’était retiré dans l’île de Kyushu, au sud du Japon, et se rendait à Tokyo et ses environs pour y tourner de superbes films ésoteriques, comme August in the Water. Electric Dragon 80 000 V réalisé il y a près de trois ans marqua son retour a une veine punk et urbaine, et Dead End Run poursuit dans cette voie, sur le mode polar. Le film est composé de trois récits, chacun se concluant par la mort des personnages. Ishii nous montre ce qui se passe dans la tête de trois hommes au moment où ils expirent, tout en variant l’ambiance. Manière hard boiled, la nuit, avec néons rouge, jaune, bleu flottant dans le brouillard de ruelles menaçantes. Ou alors de jour, sur fond psychédélique, doux et poétique.
Au Japon, la plupart des spectateurs en salle sont des jeunes femmes autour de la trentaine. Elles préfèrent les récits au gout leger, les histoire d’amour avec des personnages de leur generation, avec lesquels elles peuvent s’identifier facilement. Peu d’entre elles auront vu ces deux films.
Ishii & Ishii sont admirés surtout par le public masculin. Leurs films trouvent leur public lors des locations de DVD / VHS. Seuls les cinéphiles Japonais se souviennent de Teruo Ishii, et parions que Sogo Ishii est plus connu a l’étranger qu’à Tokyo... Ces créateurs atypiques, iconoclastes, qui ont près de trente cinq années d’écart, démontrent qu’il existe encore une volonte d’autonomie subversive au sein du cinema japonais. Teruo Ishii avait le goût de la provocation, du scandale (alors que dans la vie, il est plutot fan des films de Jonathan Demme...) tout en travaillant pour un des grands studios, Toei. Sogo Ishii fut d’emblée un indépendant, plus en retrait, mais tout aussi incendiaire. Il est également, au niveau de la mise-en-scène, de la forme, le plus virtuose des deux, le plus élégant. Teruo Ishii incarne le choc des années 60, lorsque le Japon connaissait à son tour, dans ses moeurs, la contestation.
De cette periode il reste bien peu de choses aujourd’hui ; les films de Teruo Ishii ne sortent désormais que dans de minuscules salles d’art et essai, souvent moins de dix copies pour le pays, et encore ! Apres le festival d’Udine, qui organisa une sélection de ses films il y a deux ans, ce sera donc au tour des Parisiens de découvrir ce dandy pervers.
Merci a Stephen Sarrazin.


