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Japon

Jellyfish

aka Bright Future - アカルイミライ - Akarui Mirai - Jellyfish Alert | Japon | 2003 | Un film de Kiyoshi Kurosawa | Avec Jo Odagiri, Tadanobu Asano, Tatsuya Fuji, Ryo Kase, Takashi Sasano

Un vieil homme se rend chez son avocat et demande à adopter un jeune de vingt ans. Il ne le connait que depuis quelques jours. Ce moment étrange n’est pas la scène la plus capitale du film, pourtant c’est celle qui me revient en mémoire comme si pour sa survie, son bien être, l’homme avait besoin de l’autre, quel qu’il soit.

Tout commence avec la livraison d’un meuble encombrant. Yuji et Mamoru aident leur patron à installer un bureau dans la chambre de sa fille. Les deux jeunes se connaissent à peine mais se lient vite d’amitié face au patron collant. La jeunesse contre l’ordre. Le patron leur propose alors un job à temps plein ; mais la perspective d’une vie à bouger des caisses ne les enchante guère. Devant la pression, Mamoru craque et assassine toute la famille de son chef (!). Une fois arrêté, il demande à Yuji de s’occuper de sa méduse rouge, magnifique mais venimeuse. Le projet de Mamoru est d’acclimater l’animal à l’eau douce afin de la lâcher dans Tokyo. C’est à Yuji de reprendre le flambeau. Dès lors, le film se scinde en deux : on suit l’évolution du projet mais également les mésaventures familiales du père de Mamoru, Ichiro.

Drôle de figure pour un drôle de projet. La méduse, un animal sans forme, sans yeux, un animal qui ne vit pas vraiment mais qui est. Une présence. Voilà pourquoi il est si important de la relâcher, même si elle est venimeuse : elle est la preuve d’une activité, le résultat d’un travail, d’une volonté. Kurosawa semble dire que c’est bien de volonté que manque le monde. Les personnages sont atteints d’une léthargie contagieuse : les hommes qui ont vécu n’ont plus d’illusions ; les jeunes, pas de rêves. A qui la faute ? Personne, tant les gens sont rares dans le film. Déjà dans Kairo, nous avions affaire à un dépeuplement des villes. La terrasse d’un café vide, une casse en bordure de la ville, des salarymen dans le lointain, une prison ne semblant contenir qu’un seul détenu, gardé par un unique maton… On est bien loin du fourmillement tokyoïte traditionnel. Finalement, même dans cet espace de proximité, on est toujours seul.

L’espace est vide, le mouvement est absent (on ne traverse pas le cadre, on ne va pas d’un espace à un autre, on se retrouve dans ces espaces par le biais du montage) et le temps se fait sentir. Kurosawa étire ses plans jusqu’à l’inconfortable de sorte que cette léthargie soit, de fait, gravée, dans les images. Les personnages deviennent alors les victimes du monde et non l’inverse. La caméra enregistre un évènement qui se déroule face à elle, elle ne capture plus. Cette passivité apporte une distance qui bien souvent désamorce l’aspect dramatique des actions : un suicide, une tuerie, autant d’évènements puissants, désamorcés par une image immobile, lointaine. Une fois de plus l’évènement ne se passe pas, il est. Cet aspect est renforcé par la superbe stérilité de l’image HD.

Mais d’autres images, des images instables viennent jurer avec l’ensemble. Le grain envahit l’écran, le cadre est tremblant, la caméra est portée. Ces images sont assez rares dans le film mais interviennent en contrepoint, et c’est là la clé du film. Dans ce choc des deux images, des deux qualités, la HD et le DV, on trouve le germe d’une bataille pour l’avenir. Lorsque Yuji relâche la méduse, la caméra DV ne filme pas le résultat de son entreprise (le fait que la méduse puisse nager dans l’eau douce) mais sa réaction exaltée, révélatrice d’un profond changement. Le personnage est en route vers son avenir radieux car il comprend qu’il peut en être le maitre. Le monde n’est plus solide, il devient malléable, il tremble, il a de la texture.

Reste ces images oniriques des méduses rouges nageant dans Tokyo. Comment l’animal s’est il reproduit ? Peu importe, pourvu qu’il annonce le changement. Et dans leurs similitudes, on peut les comparer aux jeunes de la scène finale. Tels un banc de méduses, ceux-ci errent dans la rue, arborant le même T-shirt du Che-Guevara. La révolution, la liberté, des valeurs qui perdent leur sens premiers mais qui, malgré tout, ont un semblant de présence. Pourtant, la caméra est en mouvement : à la fin du chemin, il y aura quelque chose, forcément…

Sorti sur les écrans français en 2003 (le 3 décembre), Jellyfish est disponible un peu partout en DVD.

- Article paru le mercredi 25 mai 2011

signé Guillaume L.

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