Jia Zhang Ke | Zhao Tao
Récipiendaire mérité du lotus du meilleur scénario pour The World, Jia Zhang Ke nous a accordé un entretien en compagnie de son actrice fétiche Zhao Tao. Rencontre simple et agréable. Comme quoi être considéré par une partie de la Critique comme un des nouveaux réalisateurs les plus intéressants de sa génération ne donne pas forcèment la grosse tête.
Sancho : The World est votre film le plus accessible pour le grand public, l’avez-vous conçu dans cette optique ?
Jia Zhang Ke : Je n’ai pas fait exprès qu’il soit accepté par beaucoup de spectateurs. Mais en effet, il fallait changer de style par rapport aux trois premiers films. Et j’aimerais qu’il soit accepté par toutes sortes de publics, car les émotions présentées dans ce film ont été ressenties par tout le monde.
Par rapport à Plaisirs Inconnus, qui était vraiment pessimiste, j’ai l’impression que dans The World, même si le constat est toujours aussi noir, il existe une lueur d’espoir. Les personnages essayent de construire quelque chose.
Globalement, je suis optimiste pour l’avenir de la Chine, mais il existe encore beaucoup de problèmes en raison des changements économiques. Un des grands dangers est l’énorme écart entre le développement économique et celui des conditions de vie, mais également l’écart de modernité entre la ville et la campagne.
J’ai été frappé par la connotation négative de l’argent dans le film, il est souvent associé à des comportements négatifs.
L’idée de la valeur de l’argent, c’est une des questions de modernisation. La modernisation coûte cher, mais qui la paye ? Les ouvriers travaillent beaucoup, sont très peu payés, et n’ont pas de sécurité. Pourtant, les gratte-ciels sont construits grâce à leur travail. Il faut que ces gens - les ouvriers, les immigrants de la campagne... - soient respectés. Et ils sont très nombreux à venir travailler dans les villes.
“La petite” est sans doute le seul personnage qui a cette innocence, cette naïveté. Je pense notamment à sa confession sur son lit de mort à propos de ses dettes. Pour vous, y-a-t-il encore de la place pour ces gens là dans ces villes qui “animalisent” l’être humain ?
Evidemment non, parce qu’il est mort.
Vous montrez la difficulté à maintenir les liens familiaux. Est-ce que ces gens, une fois partis, continuent à aider leur famille ou est-ce alors du chacun pour soi ?
C’est fini, le lien est rompu. La vie est devenue cruelle aujourd’hui.
Justement, cette dureté, vous y insistez évidemment, mais en même temps vous demeurez très poétique, notamment dans la façon dont vous montrez Pékin. Est-ce pour vous également une façon de survivre à la difficulté du quotidien ? Le fait que l’on peut montrer à travers cette ville, qu’il existe une poésie, une beauté...
Je pense que c’est une contradiction entre les deux. La vie réelle, avec la situation très dure des gens, est contradictoire avec les jolies images des gratte-ciels.
Vous avez joué dans trois films de Jia Zhang Ke et à chaque fois vous occupez une place de plus en plus importante. Etes-vous son inspiratrice ?
Zhao Tao : J’ai travaillé dans le parc d’attractions et je suis familière avec la situation et l’environnement. Mais ma situation à l’époque était très différente par rapport au rôle.
Comment votre méthode de travail a-t-elle évolué au cours des trois films que vous avez tournés avec Jia Zhang Ke ?
J’ai beaucoup appris. Dans le premier film, Platform, j’étais un peu perdue parce que je ne savais pas quoi faire. Je ne sais pas très bien ce que j’ai apporté dans la film par rapport au rôle. J’étais innocente par rapport au cinéma et je n’étais pas du tout nerveuse face aux caméras. Je jouais naturellement. A partir de Plaisirs Inconnus, mon attitude face au cinéma et à la vie a changé. J’aime jouer au cinéma, cela m’apporte désormais beaucoup. Le cinéma me donne la chance de m’exprimer, de faire ressentir mes sentiments. Grâce à l’expérience des précédents films, j’ai beaucoup inspiré mon rôle dans The World. Je me suis inspiré de ma propre expérience et j’ai pu ne pas faire tout ce que le réalisateur voulait.
Vous jouez votre rôle avec beaucoup de naturel, est-ce que Jia Zhang Ke vous laisse beaucoup improviser ?
Je suis quelqu’un de très sensible. Ce n’est pas juste pour jouer le rôle que je joue, j’ai l’impression que c’est moi même. Jouer dans un film, c’est vivre naturellement.
Votre film est plus complexe que les précédents en termes de personnages et d’histoires, or vous avez la réputation de laisser une place importance à l’improvisation. Avez-vous changé votre façon de travailler pour ce film ?
Jia Zhang Ke : Les Chinois vivent beaucoup à travers des relations personnelles : avec les parents, les patrons, les collègues, les amis. C’est la vie quotidienne. J’ai beaucoup appris avec Internet, où l’on propose de feuilleter beaucoup de chose. C’est comme si j’organisais la vie avec des relations différentes. L’improvisation vient du changement de vie des chinois. On doit utiliser une nouvelle façon de montrer la vie nouvelle. Un nouveau langage de cinéma pour une nouvelle vie.
C’est pourquoi vous avez introduit une séquence d’animation ?
L’idée m’est venue car les jeunes du monde entier aiment bien communiquer par texto.
Dans The World, les chinois, même ouvriers, ont des contacts avec des étrangers qui viennent travailler. Est-ce que cela modifie la perception des chinois sur eux-mêmes et sur le monde ?
En communicant avec la Russie, les chinois ont découvert que nous sommes tous pareils et que l’on doit faire face aux mêmes difficultés. Au début, les chinois pensaient que peut-être nos raisonnements étaient différents, mais finalement nous sommes tous pareils face à la difficulté de survivre, à la vieillesse...
Vous travaillez avec des collaborateurs étrangers : la musique a été créée par Lim Giong qui a travaillé avec Hou Hsiao Hsien, Kitano est un des coproducteurs... Est-ce une façon d’apporter à votre film des éléments étrangers, de s’ouvrir à d’autres approches artistiques ?
J’aime bien travailler avec des collaborateurs étrangers car ils apportent de nouvelles choses et ils ont des pensées différentes de la mienne. Je n’aime pas trop la collaboration juste entre chinois. Avant, la vision des réalisateurs chinois se réduisait à la Chine, mais je pense qu’il faut viser mondialement.
Comment s’est passée votre collaboration avec les japonais, qui ont pourtant une culture assez différente ?
On s’adapte. Les japonais qui travaillent avec moi sont très minutieux et moi j’aime l’improvisation. Finalement, ils arrivent à comprendre que parfois, c’est bien de faire quelque chose lorsqu’on en a envie. Et moi, je vois également les avantages d’une planification.
Vous pensez pousser plus avant ce type de collaboration avec l’étranger ?
Oui pourquoi pas, car je me sens mieux avec des collaborateurs étrangers. J’ai beaucoup appris avec eux. Le monde est un petit village.
Pourquoi avez-vous raccourci le film par rapport à la version présentée lors du festival de Venise ?
Nous avions qu’un mois avant Venise, et nous n’avons pas eu le temps de bien nous préparer. Depuis j’ai encore travaillé, et j’ai supprimé quelques passages afin d’améliorer le rythme.
A chacun de vos trois derniers films, vous avez changé de format, de la pellicule au numérique puis au numérique haute définition. Lequel allez-vous finalement choisir et pourquoi ?
La caméra numérique, car elle est beaucoup plus magique. On peut modifier la couleur comme on veut, on peut faire des changements. En outre, j’aime beaucoup le rendu de l’image.
Entretien réalisé le dimanche 13 mars 2005, à l’occasion de la présentation en compétition de The World au 7ème Festival du film asiatique de Deauville, où il a reçu le Lotus du meilleur scénario. Remerciements au Public Système Cinéma et à Mathilde Incerti.