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Japon

Jugatsu

aka 3-4x juugatsu - Boiling Point| Japon | 1990 | Un film de Takeshi Kitano | Avec "Beat" Takeshi, Masahiko Ono, Yuriko Ishida, Hisashi Igawa, Takahito Iguchi, Minoru Iizuka, Makoto Ashikawa, Hitoshi Ozawa, Hisashi Igawa, Katsuo Torashiki

Par son statut proche du film de commande, Violent Cop ne peut pas vraiment être considéré comme la première œuvre cinématographique de Kitano ; davantage comme ses premières armes en tant que réalisateur. Ce n’est que l’année suivante, en 1990, toujours soutenu par la Shôchiku, qu’il se lance dans l’écriture et la réalisation de son premier film d’auteur, un Objet Cinématographique Non Identifié nommé Jugatsu.

Ici, l’intrigue importe peu ; ce sont les personnages et les situations inhabituelles auxquelles ils vont être confrontés qui tiennent le spectateur. Deux jeunes paumés, sans réel avenir, vont se frotter, l’espace de quelques jours d’automne, à l’univers des yakusas... Sur le papier, ça laisse perplexe, mais comme souvent chez Kitano, ce pitch de quelques lignes va se métamorphoser en un voyage mêlant sursauts de violence, moments de poésie et humour tantôt absurde, tantôt premier degré dérivant sous la ceinture.

Dans un premier temps, l’absence de musique, les plans fixes sur des acteurs dénués d’expression peuvent, à juste titre, détourner le spectateur ; on a l’impression de se trouver face au cliché du film d’auteur asiatique, un peu chiant, sans même la beauté contemplative de certains plans. Ce n’est que vers la moitié du métrage qu’une rencontre/scène donne un souffle décalé au récit : dans les rues d’Okinawa, les deux anti-héros tombent sur Uehara, un yakusa improbable ("Beat" Takeshi), son sidekick et sa petite amie. Alors que tous dînent dans un restaurant-karaoké, Uehara se lève et fracasse une bouteille sur la tête d’un autre yakusa. Puis, moins d’une minute plus tard, il répète cette action au millimètre près. Auparavant, il aura taquiné/dragué lourdement Kazuo, l’un des deux anti-héros, affublé d’une chemise toute aussi bariolée/fleurie que la sienne. Et ce dernier prendra le micro pour une interprétation minable sur laquelle les protagonistes, rejoints par une prostituée noire, danseront mollement, filmés au grand angle... Cinq minutes improbables qui font l’effet d’une warp zone sur le récit puisqu’à partir de là, les situations prennent un autre ton, innocent/poétique/absurde/cruel propre à l’enfance. Comme si Kitano cherchait à nous montrer ces yakusas selon un nouveau point de vue, soutenant la thèse que leur violence n’est pas plus cruelle que celle qui règne dans les cours de récréation, qu’elle n’en est qu’une réminiscence psychologique dans un contexte d’adultes, ou encore qu’elle peut provoquer le rire selon le traitement cinématographique qui lui est appliquée... Une fois de plus chez Kitano, à la manière d’une œuvre abstraite, les interprétations de son propos sont multiples et subjectives.

Ce deuxième acte du film, quasi hors du temps, laissera progressivement place au troisième et dernier acte de synthèse, où le contexte réaliste de la violence reprendra le dessus, contaminé cependant par le ton décalé de son prédécesseur. Du coup, les scènes de violence assez crues seront alternées avec des scènes plus poétiques ou burlesques ; elles seront même parfois directement empreintes de notes abstraites (les détonations du fusil dissimulé dans le bouquet de fleurs oranges), comme pour signifier la possible coexistence de ces deux univers. Cette dualité persistera d’ailleurs jusque dans la conclusion du film, puisque celle-ci s’interprétera comme un final twist plutôt gonflé, basé sur le principe du rêve, ou bien comme la fin du personnage principal dans un univers parallèle donné, immédiatement suivie d’un retour sur le dernier carrefour de son destin : les premières minutes du film. Intéressante interprétation, n’est-ce pas ?

Quoi qu’il en soit, sans pousser la réflexion aussi loin, Jugatsu mérite incontestablement le détour pour tout inconditionnel des œuvres de Kitano tant il regorge d’idées, de thèmes, de plans ou de lieux qui seront repris par la suite dans ses films, Sonatine en tête. Pour les autres, il s’agit sans doute d’une difficile introduction à l’œuvre du cinéaste. Let’s start with Sonatine instead.

- Article paru le mardi 16 juin 2009

signé J-Me

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