Justice
Dans Justice, Joel Lamangan présente Manille comme la Sodome et Gomorrhe moderne, lieux de toutes les corruptions, morales et physiques.
Femme d’une cinquantaine d’années, Biring est le bras droit de Vivian, membre d’une organisation criminelle qui trempe dans le trafic d’êtres humains. Des Japonais veulent 7 adolescentes et 5 adolescents ? Pas de problème, ce réseau leur honorera la commande. Biring prend les commandes, apporte de l’argent, fait les livraisons… Elle est totalement dévouée à sa patronne jusqu’à ce qu’elle découvre que Vivian lui a mis sur le dos l’assassinat de son amant, qu’elle a perpétré. Biring est emprisonnée pour ce meurtre et à sa sortie elle va chercher à se venger et à abandonner ses sordides activités. Mais s’échapper des rets d’une organisation qui a dans sa poche une police corrompue est-il seulement possible ?
A l’approche de la fin du film, Biring a une vision fantasmagorique d’une rue de Manille où seraient concentrées toutes les dépravations de la capitale des Philippines (pédophilie, prostitution…). Mon principal reproche à l’égard de Justice est justement de se complaire dans les clichés sur les Philippines.
Pourquoi faut-il que les rares films philippins à atteindre nos rives occidentales parlent toujours de la misère, de la prostitution... N’existe-t-il pas d’autres histoires, elles aussi ancrées dans la réalité du pays, positives ou pas, et dignes d’être montrées sur les écrans occidentaux ?
Joel Lamangan ne démontre pas la même maestria dans la mise en scène que son compatriote Brillante Mendoza. Mais il introduit dans son film une dimension Soap - un genre particulièrement populaire à la télévision aux Philippines - bienvenue dans cette histoire lugubre. Le cours de Justice est ainsi secoué par de nombreux rebondissements et épisodes farfelus (les lesbiennes lors du séjour en prison, la mort imaginée de Vivian...).
Justice est porté la star du cinéma philippin, Nora Aunor, qui interprète Biring, et est en partie sauvé par la complexité de ce personnage. Elle reste loyale à Vivian car elle se sent redevable. Les deux femmes sont originaires de la même ville et Vivian lui a donné les moyens d’élever sa famille. Biring n’est pas dénuée de scrupules, au contraire de sa chef. Le caractère immoral de son travail trouble sa conscience, qu’elle tente d’apaiser en jetant de l’argent à la cantonade du haut d’un immeuble. Mais Manille exerce sur elle une emprise irrésistible, comme Sodome et Gomorrhe pour la femme de Loth.
Joel Lamangan fait le portrait de Manille en héritière de la célèbre vile ville biblique, devenue synonyme du péché. La capitale des Philippines est un monde sans moral où être témoin d’un vol semble faire autant partie du quotidien que d’aller faire son marché. Du reste, pourquoi ne pas profiter d’un vol à cette occasion pour en bénéficier également - n’est-ce pas Biring ? Plus tard témoin du vol par un pickpocket, elle ne va pas avertir la victime. Cette indifférence semble être commune à toutes les couches de la population, jusqu’au prêtre qui accepte de l’argent sale pour construire une église.
Justice a été présenté au cours du 36ème Festival des 3 Continents (2014), dans le cadre de la Sélection Officielle.





