Kaïro
Décidément, le fantastique japonais est à l’honneur des salles obscures en ce moment. Si on ne peut que se réjouir de ce nouvel état de fait, et surtout espérer que ce sera un phénomène durable, on ne peut que s’étonner du choix des films distribués. Bien que "le petit Kurosawa" ait déjà vu trois de ses longs-métrages distribués en France auparavant (à savoir Cure, License to Live et Charisma), je doute fortement que Kaïro serait sorti si ce n’était pour l’exploitation de Ring quelques semaines auparavant.
Seulement voilà, ici, les erreurs de marketing sont de mise et, plutôt que de garantir un certain succès aux films concernés, ils risquent tout simplement de détourner les spectateurs des "nipponeries" une bonne fois pour toutes. Ring, déjà, a été précédé d’une réputation malheureuse de Scream japonais, et ce sur le fait non-précisé qu’il avait simplement, comme l’excellent film de Wes Craven aux USA, relancé le cinéma d’horreur sur l’archipel. Il ne restait plus qu’à surfer sur la vague pour sortir Kaïro et prolonger la méprise. Seulement voilà : Kaïro n’est pas plus un film d’horreur que ne l’était avant lui le magistral Cure. Dans son sujet se trouvent peut-être les prémisses d’un film de genre classique, avec qui plus est quelques points communs (vagues, certes, mais admettons) avec le carton de Hideo Nakata. Mais en ce qui concerne le traitement...
Reprenons dés le début : un virus étrange se propage via internet aux quatres coins de Tokyo. Les victimes se suicident après avoir été soit-disant mis en contact, via webcam dans une étrange "zone interdite", avec des fantômes. Et la théorie développée par Romero à l’occasion de la promotion de Zombie en 1978 (unique blockbuster gore de l’histoire du cinéma de genre, rappelons-le) de devenir réalité : "quand il n’y a plus de place en enfer, les morts reviennent sur terre pour se venger"...
Bien que son sujet soit indéniablement horrifique, l’horreur n’est en aucun cas le but de la réalisation de Kurosawa. C’est plus un effet secondaire de la mise en scène qu’autre chose, et c’est bien ce qui fait toute la force de cette œuvre qui partage plus d’une similitude avec Cure. Comme dans ce dernier, le film s’axe sur un processus de contamination/destruction du réel, et si les deux longs-métrages s’inscrivent dans la catégorie horreur, c’est par la texture de cauchemar qui se dégage de cette construction si particulière, tant scénaristique que visuelle. En effet, Kurosawa déploie toute son énergie à la construction/déconstruction d’une réalité rendue cohérente par le prolongement insidieux en arrière-plan et hors champ du monde dépeint dans chaque cadre du film. D’abord familier, puis perverti, puis transformé, le monde de Kaïro s’accompagne, comme celui du tueur iconoclaste de Cure, d’un sentiment de malaise et d’une perte de repères qui restent avec le spectateur longtemps après la projection des dernières images. Il serait prétentieux de dire que le film est parfaitement lisible et immédiatement compréhensible, mais n’est-ce pas la particularité de tout cauchemar qui se respecte ? La principale émotion suscitée par la vision de Kaïro est par conséquent une incroyable fascination, et c’est déjà beaucoup plus que ce que les productions fantastiques actuelles ont à nous offrir. Surtout, n’hésitez pas à vous laisser envoûter...
