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Japon | Nippon Connection 2010

Kakera

aka A Piece of Our Life, カケラ | Japon | 2009 | Un film de Momoko Andô | Avec Hikari Mitsushima, Eriko Nakamura, Tasuku Nagaoka, Ken Mitsuishi, Rino Katase, Toshie Negishi, Kageki Shimoda, Masahiko Tsugawa

Haru (Hikari Mitsushima), une jeune étudiante en littérature étrangère, réservée et taciturne, semble résignée par le train-train quotidien qu’elle s’impose par habitude aux côtés de son petit ami du moment (Tasuku Nagaoka) ; un jeune homme flemmard et ennuyeux qui l’ignore et ne voit en elle qu’un encart sexuel entre ses parties de console vidéo, son boulot et la fréquentation épisodique d’une ex dont il ne parvient à se séparer. Un jour, attablée dans un café, Haru se fait draguer effrontément par Riko (Eriko Nakamura), une jeune prothésiste médicale, qui voit en elle un manque affectif et une mélancolie qu’elle s’empresse de vouloir combler. Les deux jeunes femmes débutent alors une relation sentimentale heurtée qui peinera à s’épanouir au grand jour malgré l’intensité des liens qui les unissent.

Il y a un sentiment d’agacement à constater l’effervescence entourant certains films, dont les qualités semblent davantage dépendre du sceau de l’hérédité que d’un quelconque talent avéré. C’est la première réaction, plus épidermique que réfléchie, qui émane de la vision de Kakera, adaptation très libre du josei manga (manga pour jeunes femmes) d’Erica Sakurazawa Love Vides (1996). Momoko Andô, fille de l’acteur-réalisateur Eiji Okuda (Une Adolescente, Hors du vent) et de l’essayiste Kazu Andô, se voit déjà par certains auréolée de louanges, après ce premier long-métrage dont l’ingrédient de départ, une relation amoureuse entre deux jeunes femmes, sert d’amorce à la hype suscitée par cette romance douce-amère.

A l’image de ces “filles de”, dont la plus emblématiques reste la surestimée Sofia Coppola, les débuts de Momoko Andô évoquent immanquablement ceux de la petite fille du quasi centenaire (et toujours actif) Kaneto Shindô. À tout juste vingt-trois ans, elle signait déjà le modeste Love/Juice (2000), prenant pour canevas l’homosexualité féminine à travers une approche résolument réaliste aux tonalités pastelles chatoyantes. Néanmoins, ce thème demeure relativement peu évoqué dans le cinéma mainstream Japonais, au contraire de sa contrepartie masculine qui connût une tendance prononcée depuis les années 90, grâce au coming out du réalisateur Ryosuke Hashiguchi et son très beau Petite Fièvre des vingt ans (1993). Aussi Kakera peut parfois paraître opportuniste, bien que non dénué de sensibilité, dans sa manière de s’approprier l’homosexualité de ses héroïnes, devenant tantôt une posture propice à la singularisation de son auteur, tout autant que le cache-misère d’une mise en images sans relief. Si la description qu’en donne Momoko Andô ne manque pas de se confronter à la société et à ses préjugés, notamment lorsqu’elle décrit la gêne qu’éprouve Haru à fréquenter sa démonstrative compagne en public, elle ne fait aucunement de son récit un manifeste pro lesbien, ni ne tente de glisser un message revendicateur, si ne n’est celui de la pureté et de la spontanéité de l’intention amoureuse, qu’elle qu’en soit sa forme. Et ne cherche pas moins, à l’image du médiocre et sirupeux Love My Life (2006) de Kôji Kawano, à y glisser une dénonciation du sexisme et de l’homophobie de la société nippone.

Bien au contraire, la relation saphique entre les deux jeunes femmes s’exprime à l’écran de façon intime et profonde, parfois mièvre - à travers le partage d’une glace -, mais aussi directe et franche, par l’entremise du personnage de la volontaire Riko. Ainsi l’une des séquences les plus réussies, filmée avec justesse dans sa continuité, est indubitablement la dispute entre les deux femmes au beau milieu d’un izakaya rempli de salarymen en costumes noirs, hébétés devant l’esclandre provoqué ainsi par les deux amies avec aplomb. Ainsi les qualités de jeu et le naturel que parvient à obtenir Andô de ses actrices constitue le principal motif de réjouissance. La révélation du film demeurant Eriko Nakamura, qui parvient à apporter à la singularité de son personnage une force émotionnelle capable de convaincre la léthargique Haru dès le premier rendez-vous. Un caractère bien trempé, volontairement accentué, qui semble davantage modelé sur une jeune européenne que sur celui d’une Japonaise typique, nous rappelle qu’Andô a effectué une partie de ses études à Londres ; à moins que ce ne soit l’appétit de Riko pour le cheesecake. De même, l’idée d’avoir fait de Riko une prothésiste médicale offre un prolongement charnel et spirituel (les attributs façonnés de sa main comblent autant l’absence physique que les blessures psychiques de ses patients) à sa présence qui s’exprime ici de façon poétique et symbolique. De l’autre côté, la cinéaste a judicieusement conduit Hikari Mitsushima, révélée par son interprétation expressive et volubile dans Love Exposure (2009), à adopter un quasi mutisme au jeu alangui et renfermé, dont l’accoutrement très “garçon manqué” estompe la féminité de la jeune femme. C’est dans cette opposition de caractères, autant que d’apparences et de modes de vie – Haru l’intellectuelle et Riko la manuelle - que les figures féminines n’en sont que plus touchantes dans leurs contrariétés ; le désir de l’une faisant écho aux frustrations et aux angoisses de l’autre.

Si Andô démontre une sensibilité non dénuée de naïveté dans le traitement psychologique de ses protagonistes, elle ne parvient à nous convaincre d’une quelconque originalité dans sa traduction filmique. Malgré quelques séquences cherchant à souligner le naturel et la spontanéité du jeu de ses actrices, telle que la scène montrant les jeunes femmes dans la rue se renvoyant une bouteille de soda ; la mise en scène dans son ensemble se révèle d’une platitude manifeste, tantôt académique et scolaire dans son découpage. Pour celle qui cherche par son sujet même à affirmer sa différence, cela se révèle un écueil fatal traduisant l’inexistence d’un point de vue de cinéaste, bien loin du talent d’une Satoko Yokohama (Bare Essence of Life, German + Rain), cinéaste de la même génération.

Malgré l’attachant portrait d’un amour généreux, sur fond de crise existentielle se jouant des genres et des conventions avec élégance et audace, Kakera se retrouve gâché par une mise en scène sans ambition, entre symbolisme niais (une bouteille de soda transformée en colombe à deux têtes) ou cliché (la bague offerte en signe de lien éternel), amoindrissant considérablement la qualité d’interprétation pourtant convaincante de ses deux actrices. Récit teinté d’ingénuités, un brin didactique, Kakera se cherche à l’image de son auteur. Souhaitons pourtant, que le cri final poussé par Haru, qui résonne comme un nouveau départ, constitue une remise en question salutaire pour sa jeune réalisatrice. Mais il est à craindre que Momoko Andô, tout comme Sofia Coppola, ne poursuive dans une voie toute tracée leur cheminement d’enfants gâtés, qui séduira peut-être ceux qui se laisseront épater par l’emballage “tendance” et le faux look indie de cette romance lesbos, tenant plus d’une soirée pyjama entre copines que d’une torride histoire d’amour.

Kakera a été présenté dans la section Nippon Cinema au cours de la 10ème édition du Festival du film Japonais de Francfort Nippon Connection (2010).

Site officiel (en Japonais) : www.love-kakera.jp

Kakera sera disponible à partir du 21 Juin 2010 en DVD zone 2 avec sous-titres anglais chez l’éditeur britannique Third Window.

- Article paru le lundi 10 mai 2010

signé Dimitri Ianni

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