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Japon | Festival des 3 Continents 2013 | Rencontres

Koji Fukada

"Pour moi, l’écriture fait déjà partie de la mise en scène."

Bien occupés que nous étions à assister aux projections des films en compétition lors de la 35ème édition du Festival des 3 Continents, nous avions attendu le dernier moment pour rencontrer Koji Fukada... Et c’est donc avec un réalisateur doublement (et justement) auréolé - de la Montgolfière d’Or et du Prix du jury jeune - que nous avions eu la chance de discuter de son magnifique Au Revoir l’été, en guise de conclusion d’un cru 2013 plus souriant qu’à l’habitude.

Sancho : Vous avez présenté Au Revoir l’été en disant que c’était un film dans lequel on avait l’impression qu’il ne se passait rien, qu’il donnait à voir des choses banales. Pourquoi présentez-vous votre film de cette façon ?

Koji Fukada : La raison pour laquelle je présente toujours mon film de cette façon, en disant qu’il ne s’y passe rien, c’est parce qu’en réalité, s’il semble ne rien s’y passer, il y a en fait dans cette histoire plein de choses très riches, il s’y passe beaucoup de choses. Certains films sont très dramatiques – ils peuvent par exemple raconter l’histoire d’une séparation d’un couple par la mort, ou l’histoire très émouvante d’une famille, dont on vérifie la relation forte grâce à un événement impressionnant - et si on compare Au Revoir l’été à ce type de films, c’est une histoire qui peut sembler banale - et qui pourtant offre plus de richesse. J’ai eu cette expérience avec quelqu’un qui n’est pas habitué à voir des films qui ne sont pas hollywoodiens, qui m’a dit qu’il ne se passait rien dans mon film. Voilà pourquoi je dis ça moi-même, pour éviter cette réaction...

Vous préférez que les gens soient surpris d’y trouver quelque chose, plutôt que déçus par le fait qu’il soit calme ?

Voilà, tout à fait.

On a l’impression que votre mise en scène œuvre à donner cette impression d’un film anodin, au travers du format de l’image – le 4/3 – notamment, que vous travaillez volontairement à donner cette grande légèreté à un film qui est pourtant très lourd pour ses personnages.

Je pense que si le film vous a donné cette impression de légèreté, c’est parce que mes personnages, mes protagonistes, n’expriment jamais ce qu’ils pensent vraiment intérieurement. Quand j’écris un scénario, je le fais toujours de mon propre point de vue, avec ma propre vision. Et nous, les hommes, ne parlons jamais facilement de ce que nous pensons vraiment. Donc à l’écriture, pour bien montrer les relations humaines entre les personnages, j’essaye de vraiment trouver une bonne structure de scénario, grâce à laquelle le spectateur peut imaginer très librement ce qu’il pense des personnages. Pour moi, mon film est une sorte de miroir ; c’est à dire que j’essaye de faire des films où le spectateur se projette lui-même, où le spectateur peut se trouver au travers de ce qu’il imagine des personnages.

Cela fonctionne très bien, à la fois par le travail sur le texte et le jeu des acteurs. Il y a ce que les personnages disent, mais aussi le temps passé à regarder leurs visages – les déceptions par exemple de l’héroïne face aux réactions de ce garçon qu’elle a rencontré et qui préfère une autre fille. Les émotions sont très bien captées. En voyant Au Revoir l’été, j’ai repensé à votre travail avec la troupe Seinendan. J’ai vu Théâtre l’an dernier, et j’ai été très impressionné par la découverte du travail de M Hirata, qui consiste en une répétition à l’infini, jusqu’à l’extinction de toute improvisation, pour arriver justement à cette incroyable impression de naturel. Comment avez-vous travailler pour reproduire ce naturel à l’écran ?

Je dois préciser que j’appartiens moi aussi à la troupe Seinendan ; j’ai fait une petite apparition dans le documentaire de Kazuhiro Soda. Seinendan, c’est une troupe de théâtre, qui a son propre système de travail. Pour créer et monter une pièce, ses membres ont un ou deux mois de préparation. Malheureusement, en ce qui concerne mon film, je n’ai que très peu de budget – ce qui est déjà une contrainte. Et il y a en plus une tradition, une mauvaise habitude du cinéma japonais, de respecter en priorité le planning des acteurs, selon l’exigence de leurs sociétés de management, et du coup je ne peux jamais avoir suffisamment de temps pour préparer mes acteurs. Donc pour être le plus efficace possible dans cette durée assez limitée de préparation, il y a deux chose auxquelles je fais très attention.

La première concerne le jeu d’acteurs. Ce qui pour moi est toujours très important en terme de jeu, c’est que tous les acteurs puissent communiquer entre eux, même devant la caméra. Mais il y a des acteurs, très expérimentés et déjà forts d’une belle carrière, qui ont tendance à essayer de ne pas trop communiquer avec les autres, à faire au contraire attention à créer très minutieusement leur personnage, à comprendre le script, tout seuls. Du coup, j’essaye de créer des conditions pour que chacun puisse communiquer au mieux, dans une ambiance très détendue, pour que les acteurs puissent vraiment se détendre devant la caméra. J’essaye vraiment de créer cette ambiance pendant le tournage : je considère que c’est le travail du réalisateur.

La deuxième chose concerne l’écriture. Pour moi, l’écriture fait déjà partie de la mise en scène. Comme je vous le disais toute à l’heure, mes personnages ne disent jamais ce qu’ils pensent vraiment, n’expliquent jamais leurs sentiments par le dialogue. A la place, j’essaye de structurer le récit, le scénario – travailler le moment où tel et tel personnages se rencontrent, déterminer à quel moment un personnage apparaît dans l’histoire et en ressort, trouver le moment où les personnages se croisent – de sorte que le spectateur comprenne bien ce que chacun pense, quelles sont les émotions qu’ils ressentent. J’essaye d’élaborer une structure qui permette au spectateur de comprendre tout ça, même si les personnages ne l’expliquent jamais.

Et si le scénario est bien écrit, les acteurs vont pouvoir jouer de façon très libre ; alors qu’au contraire, si le script n’est pas bien écrit, les acteurs sont obligés d’expliquer ce que pensent leurs personnages par le jeu, et cela leur enlève une liberté de jeu. Je considère que pour permettre aux acteurs de bien jouer, librement, il faut d’abord que j’écrive un très bon scénario. C’est vraiment cela que j’ai appris d’Eric Rohmer et Oriza Hirata par exemple.

C’est en effet ce que j’avais ressenti en voyant le film de Kazuhiro Soda. Je n’avais jamais imaginé qu’une écriture puisse à ce point conditionner le jeu des acteurs, que les mots pouvaient être si précis que le jeu des acteurs naît naturellement , et c’est bien l’impression que l’on a en regardant le film.

Merci beaucoup !

Je reviens par ailleurs sur votre mise en scène, qui participe à la dédramatisation du film, et notamment sur le choix du format 4/3...

Je peux donner deux raisons pour le choix de ce format. La première, c’est simplement que j’aime beaucoup ce format standard. Pour ce film, ce que je voulais vraiment filmer, ce que je voulais capter, c’était les hommes – pas la nature, pas les paysages. Je pense que le meilleur format pour filmer le corps humain, c’est le 4/3. Voilà pourquoi j’ai fait ce choix.

La deuxième raison, c’est que le cinéma dont je suis familier depuis mon enfance, depuis toujours, c’est le cinéma classique, en format standard. C’est pourquoi je me sens très à l’aise avec ce format. Ce à quoi je ne m’attendais pas, ce que j’avais un peu mal calculé pour ce projet, c’est que lorsque l’on tourne en 4/3 avec les caméras vidéos actuelles, on ne peut pas avoir le viseur 4/3. Le viseur est toujours 16/9, et du coup le chef opérateur est obligé d’imaginer l’image amputée de ses côtés...

Je reviens sur le personnage de Takashi, réfugié de Fukushima. Nous avons déjà vu des films qui se passent après les incidents de Fukushima, mais c’est le premier que je vois qui l’aborde si loin du lieu, au travers de quelqu’un qui en est parti et qui vit avec les conséquences, sans que l’on voit jamais le lieu lui-même ou la trace de la catastrophe.

Comme je vous l’explique depuis toute à l’heure, j’essaye de faire comprendre ce que pensent mes personnages sans leur faire expliciter quelque soit. C’est un peu pareil en ce qui concerne le traitement de Fukushima. Même si l’histoire n’est pas explicitement dramatique, si j’établis une bonne structure, je peux faire comprendre l’arrière plan du film. Même si je ne montre pas directement Fukushima, je peux en parler ainsi.

L’autre raison pour laquelle j’ai fait apparaître ce personnage, joué par l’acteur Taiga, jeune réfugié de Fukushima, c’est parce que moi je vis au Japon, et même si l’on ne vit pas à Fukushima, vivre avec les réfugiés est déjà quelque chose de très naturel, c’est vraiment la réalité du Japon. Je vis à Tokyo, mais j’ai des amis dont la famille a vécu cette catastrophe, je connais des réfugiés – il y avait même un réfugié de Fukushima dans l’équipe du film. Pour moi franchement, si on fait un film aujourd’hui avec un certain nombre de personnages, ce ne serait pas normal qu’il n’y en pas un qui ait trait à Fukushima.

Entretien réalisé le mardi 23 novembre 2013, dans le cadre de la 35ème édition du Festival des 3 Continents, au cours duquel Au Revoir l’été a remporté la Montgolfière d’Or, ainsi que le Prix du jury jeune.
Remerciements à Terutarô Osanaï pour sa disponibilité et sa traduction, ainsi qu’à l’équipe des 3 Continents.
Photos de Koji Fukada : Kizushii.
A lire aussi : deux autres entretiens avec Koji Fukada, l’un réalisé en octobre 2011, l’autre en juin 2010.

- Article paru le dimanche 16 février 2014

signé Akatomy

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