Koma
Dans le salon de réception d’un hotel de luxe se termine une cérémonie de mariage. Chi Ching (Angelica Lee), passablement éméchée, hérite du bouquet de la mariée. Tandis qu’elle jouit de son bonheur annoncé, les promis tentent de la monter dans leur chambre pour la coucher. Au moment où Ching s’enferme aux toilettes pour vomir, une jeune femme se réveille dans une autre chambre de l’hôtel. Nue dans une baignoire remplie de glace, elle semble ignorer où elle se trouve. Face à elle, inscrit en lettres de sang sur le mur, le message suivant : "Appelle la police ou tu mourras". La jeune femme se lève et se rend compte qu’elle perd une grande quantité de sang. Titubant pour quitter l’hôtel en dépit des recommandations de ses amis, Ching se retrouve au détour d’une porte ouverte, nez à nez avec cette femme qui s’est fait dérober un rein - non sans avoir aperçu Suen Ling à proximité de la scène...
Ching accepte de reconnaître Suen Ling devant les autorités. Au cours du "line up" se joue un coup de théâtre inattendu : l’accusée se jette sur le miroir sans teint et déclare que Ching fait tout cela par vengeance car elle a couché avec Wai, son petit ami. Ching tombe des nues, et maintient son accusation. C’est alors que Suen Ling bien qu’innocentée, commence à harceler Ching :" Puisque tu es persuadée que je suis coupable, quand souhaites-tu que je vienne te voler un rein ?" Un jeu pervers s’installe entre les deux femmes, jusqu’au jour où Ching se fait enlever par le véritable voleur d’organes. Avant de s’évanouir, elle apprend à ce dernier qu’elle souffre d’une insuffisance rénale, et que lui dérober un rein serait donc inutile. Suen Ling qui la suivait, combat l’aggresseur et sauve notre héroïne, pourtant objet de sa haine...
Koma est l’un des ces films dont le synopsis est impossible à écrire. Imaginez une intrigue qui se déroule tel un noeud coulissant, se dénouant au fur et à mesure qu’elle s’expose. Le nouveau film de Law Chi-Leung, réalisateur derrière les excellents Inner Senses, Double Tap et même Viva Erotica, fonctionne sur ce principe inhabituel d’une constante redéfinition de l’enjeu narratif. A la manière de Running on Karma avec lequel il ne partage pourtant aucun point commun sur le fond, Koma emprunte son centre de gravité au couple variable Chi Ching / Suen Ling. En fonction de leur relation, tour à tour antagoniste et amicale mais toujours passionnelle, Koma se pare de nouveaux atouts après s’être défait des anciens. Alors que l’on cherche à résoudre une enquête policière, on se retrouve bien vite déstabilisé par un jeu de résolutions accélérées ; le spectateur entre alors dans une espèce d’état second, comme sous hypnose.
Une hypnose due à la narration certes, mais aussi à la mise en scène et aux interprètes de Ching et Ling. La caméra et les deux actrices Angelica Lee et Karena Lam, travaillent ensemble à l’instauration de ce climat instable, léthargie délicieuse mais trompeuse, semblable à l’anesthesie délictueuse qui précède une intervention chirurgicale. Un parallèle loin d’être innocent au vu du sujet du film, qui offre d’ailleurs à Koma ses scènes les plus belles et les plus ambigües. Comme cette incision subie par une Angelica Lee droguée, le scalpel plongeant dans sa chair avec une douceur telle que la séquence dégage un érotisme aussi magnifique qu’inopportun.
L’actrice de The Eye délaisse ici quelque peu son image de femme enfant pour celle d’une véritable femme. Sa présence à l’écran est plus grande de film en film ; elle est tellement belle dans Koma qu’elle renvoie à un certain glamour du film noir des années 50. De plus, la hache lui va si bien... Face à elle, la troublante Karena Lam est loin d’être en reste, interprétant son personnage de combattante avec une facilité paradoxale. D’ailleurs et c’est un autre des atouts du films, les personnages opposés de Ching et Ling se définissent à partir d’interprétations antithétiques. Alors que Ching est censée obtenir facilement ce qu’elle veut et Ling se battre pour la moindre chose de la vie, Ching passe le film à combattre et Ling dans un état de suspension tranquille. Koma y gagne en épaisseur et les actrices en terrain d’expression.
Tour à tour doux, sensuel, pervers, effrayant et violent (incroyable accident de voiture de Ching), Koma est un film-concept très libre - décidemment très proche dans sa forme du chef-d’oeuvre "karmique" de Johnnie To et Wai Ka-Fai cité plus haut. Law Chi-Leung y affirme ses talents de metteur en scène, jouant comme dans Inner Senses avec une narration "borderline", à la frontière de multiples conceptions narratives et genres cinématographiques. Les actrices y sont saisissantes et la musique magnifique (notamment la chanson titre, interprétée par Karena Lam). Aux côtés de Cheang Pou-Soi (New Blood), Law Chi-Leung continue donc de porter haut le flambeau d’un cinéma horrifique HK contemporain, novateur et efficace.
Koma est disponible en DVD HK chez Panorama Entertainment. Stéréo et 5.1 cantonnais ainsi que 5.1 mandarin sont au programme, avec sous-titres anglais de rigueur, pour une présentation de très bonne tenue. Les suppléments - making-of (non sous-titrés) de 15 minutes, clip de la chanson de Karena Lam et trailer du film - ressassent les mêmes images et sont donc d’un intérêt anecdotique.


