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Japon | Rencontres

Hirokazu Kore-eda

"Je fais souvent tout moi-même car je prends plaisir à chacune des étapes de la fabrication d’un long-métrage."

Hirokazu Kore-eda est un habitué de ces pages et son nouveau film, comme les précédents, bénéficie d’une sortie sur les écrans français. Sancho l’a interviewé sur les origines de cette nouvelle œuvre et sur son travail derrière la caméra et sa table de montage.

Sancho : Je crois savoir que ce film est l’un de vos plus personnels. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Hirokazu Kore-eda : Plusieurs raisons m’ont amené à faire ce film. Après la tempête a comme point de départ mon retour dans cette fameuse cité juste après le décès de mon père en 2000. J’ai réalisé à quel point elle avait évolué depuis mon époque : la population était vieillissante, les toboggans du parc avaient disparu, seuls les arbres avaient poussé… Le paysage était assez étonnant, étrange car il ressemblait au Château dans le ciel d’Hayao Miyazaki. J’ai eu envie de filmer cet endroit. Ma mère est ensuite décédée à l’époque de Still Walking dans lequel Hiroshi Abe et Kirin Kiki jouaient déjà un fils et sa mère. Nous nous étions dit alors que nous voudrions tourner une autre histoire de famille quelques années plus tard, toujours sur la base de la relation mère-fils. Après la tempête est le film que nous avions évoqué à cette époque. Le timing est aussi lié à ce précédent film que nous avons fait ensemble.

Les motivations qui me conduisent à mettre en scène un film sont assez diverses et c’est bien comme cela. Il a parfois comme origine un fait divers ou social. D’autres fois, je vais avoir envie d’adapter un manga. Et puis parfois, le motif est plus intime. Ces jalons dont je vous ai parlés tout à l’heure, le fait d’avoir réalisé Still Walking il y a quelques années... J’avais envie d’en faire un autre presque une génération plus tard et j’envisage d’en réaliser un troisième dans la même veine lorsque mes enfants seront devenus plus grands, dans quelques années. L’idée d’un suivi dans la chronologie me plait aussi.

Votre cinéma se distingue notamment par le réalisme qui se dégage des scènes. Comme travaillez-vous avec vos acteurs pour y parvenir ? D’autres grands directeurs d’acteur, je pense à Mike Leigh, travaillent en amont du film.

Je ne fais pas tant de répétitions que cela avant le tournage. Évidemment, nous faisons des lectures de scénario ensemble et les acteurs répètent les mouvements dans les décors. Sur le tournage, je sais comment Kikki aime travailler : elle a besoin de s’approprier les lieux. Et comme nous nous fréquentons en dehors du travail, je la connais suffisamment pour que sa façon de penser et certaines de ses expressions se reflètent dans le rôle. J’ai écrit celui-ci pour elle : le personnage est un entre-deux de ma mère et d’elle.

Et comment procédez-vous avec les acteurs que vous ne connaissez pas ?

A vrai dire, maintenant que vous me posez la question, je me demande moi-même comment je procède car je ne suis pas du genre à voir mes comédiens en dehors du tournage ou aller boire un verre régulièrement avec mes acteurs. Je les retrouve seulement sur le plateau au moment du tournage, comme avec Isao Hashizume. Même sur le plateau, nous avons très peu échangé. Pourtant, notre relation est telle que même sans passer par les mots, nous arrivons à nous comprendre : il me fait des propositions de jeux et j’ai seulement à acquiescer. Mais surtout, pour ce film, j’ai travaillé avec des personnes qui comprennent ce que j’attends d’eux. Le casting est constitué d’acteurs qui possèdent cette perspicacité, d’où ce rendu.

J’ai remarqué que le montage privilégie les plans courts. Comment l’avez vous envisagé ?

Pour ce film, j’ai fait pour une fois le découpage relativement en amont et je n’ai pas laissé la caméra tourner tant que cela par rapport aux précédents. Il contient deux scènes où la caméra a tourné plus longtemps : celle où le couple se retrouve dans la chambre et où il lui touche le pied, et celle où la mère et son fils écoutent la chanson de Teresa Teng dans la cuisine. Les répliques primaient dans ces deux scènes et j’ai donc laissé la caméra tourner. Pour les autres scènes, j’avais prévu un découpage avec des plans plus courts.

Quelle partie du film préférez-vous : l’écriture, la réalisation, le montage ?

Je fais souvent tout moi-même car je prends plaisir à chacune des étapes de la fabrication d’un long-métrage. Au moment de l’écriture du scénario, j’ai parfois l’impression que les personnages s’émancipent. Ils deviennent indépendants de ma plume. C’est excitant. Sur le tournage, cela peut arriver quand je trouve le bon angle et je me dis que la séquence démarre vraiment ici. C’est extrêmement plaisant. De même quand je monte, le thème du film qui pouvait paraître assez confus se révèle tout d’un coup. C’est très agréable.

Est ce que devenir adulte revient à renoncer à ses rêves ?

Mon intention est plus subtile. Là en l’occurrence, je voulais évoquer comment chacun gère le fait d’avoir des rêves et d’être devenu adulte. Il y a trois réactions. Ryota en effet a du mal à renoncer à ses rêves. Sa femme est, elle, persuadé qu’il faut renoncer à ses rêves pour trouver ensuite le bonheur. Leur fils a, lui, pris le parti de ne pas avoir de rêves pour ne pas être déçu. J’ai l’impression qu’il s’agit d’une tendance dans la jeune génération. Quand on demande aux enfants quel métier ils souhaiteraient exercer plus tard, ils répondent avec le plus grand naturel souhaiter devenir fonctionnaire ou youtubeur. C’est assez difficile à comprendre, mais l’époque le veut. Ce n’est ni bien, ni mal, il existe simplement des conceptions différentes. L’ambition du film était aussi de dépeindre ces différents parcours.

Je n’avais aucunement l’intention de faire passer à travers ce film les messages qu’il fallait renoncer à ses rêves ou au contraire de ne jamais y renoncer. Une tendance existe au Japon, surtout lors de la rentrée des classes : des personnes viennent toujours faire des discours devant les jeunes. Ils expliquent être devenus ce qu’ils sont parce qu’ils n’ont pas renoncé à leurs rêves. C’est à la fois cruel et déstabilisant car chacun fait comme il peut. Il ne faut pas imposer une vision de l’extérieur. Je ne pense pas que l’on puisse demander à un jeune de renoncer à ses rêves pour se conformer à la norme.

Après la tempête est sorti sur les écrans français le 26 avril 2017.
Remerciements à Matilde Incerti et à Jérémie Charrier, ainsi qu’à Léa Le Dimna pour la traduction.

- Article paru le vendredi 28 avril 2017

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