L’ange ivre
A star is born.
Sanada, médecin d’un quartier pauvre de Tokyo, découvre en soignant la blessure par balle d’un jeune yakuza, Matsunaga, qu’il est atteint de la tuberculose. Malgré tout le mépris que lui inspire la pègre, il insiste pour que ce dernier soigne cette maladie contagieuse. Mais le yakuza rechigne à le faire car il craint que cela soit interprété comme un signe de faiblesse de la part de ses hommes. Sanada et Matsunaga vont tisser d’étranges liens d’amitié, bien que tout semble les opposer. La sortie de prison de l’ancien protecteur du quartier, Okada, va compliquer l’équation. Ces personnages vivent dans un quartier au milieu duquel se trouve une mare putride qui joue un rôle central, notamment en tant que métaphore de la la déliquescence de la société de l’époque.
L’ange ivre marque une étape importante de la carrière d’Akira Kurosawa puisqu’il collabore pour la première fois avec Toshiro Mifune. Naît ainsi l’une des associations acteurs-réalisateurs les plus fructueuses de l’histoire du cinéma, à l’image du tandem John Wayne-John Ford, réalisateur fort apprécié de son confère japonais. Toshiro Mifune déploie un jeu d’une telle intensité – que l’on découvre dans ses yeux dès son apparition - qu’il écrase les autres acteurs. Takashi Shimura, qui interprète le docteur, est pourtant bien loin de démériter. Le film doit une part importante de sa réussite à l’affrontement entre ces deux individualités fortes, qui lui donne un ton virulent et son punch. Le médecin a beau être pétri d’humanité, il possède son lot de défauts, que ce soit son caractère colérique ou son goût pour la dive bouteille (d’alcool médical).
Ce film est de surcroît considéré par le metteur en scène japonais comme le premier entièrement personnel, débarrassé notamment des censures du pouvoir impérial et de l’occupant américain.
L’ange ivre est à la fois naturaliste et d’une grande beauté plastique. L’influence du muet est fréquemment visible dans l’œuvre du cinéaste japonais et plus particulièrement ici celle du cinéma expressionniste. Les plans en contre-plongée et en plongée y sont plus la norme que l’exception et la lumière est souvent très crue. Dans le combat final au couteau entre Matsunaga et le caïd Okada, où Akira Kurosawa utilise des cadrages inclinés pour montrer les adversaires, Toshiro Mifune semble sortir tout droit d’un film expressionniste allemand. D’autant plus qu’il est affublé d’un maquillage outrancier pour montrer les progrès de la maladie. Les yeux exorbités du caïd font penser aussi à ceux de Peter Lorre, inoubliable interprète de M le maudit.
Lors de cet affrontement, le réalisateur a une idée de mise en scène qui fait mouche : la peinture répandue dans le couloir accentue encore son côté chaotique et foire d’empoigne. Cette idée prendra une autre dimension dans Les 7 samouraïs et son fameux combat sous une pluie torrentielle.
Sous la noirceur du film, qui se déroule dans les années sombres de l’après Seconde Guerre mondiale, perce un certain optimisme. L’ancien caïd sort de prison comme l’une des bulles de méthane - montrées à plusieurs reprises - surgissant des profondeurs de la fange pour éclater à la surface et empester encore plus un air déjà vicié. Il a été incarcéré pendant la guerre et lorsqu’il revient les temps ont changé, comme lui dira le médecin un peu plus tard. Les yakuzas sont présentés comme les reliquats de l’ancien monde : malgré toute sa combativité, Matsunaga reste prisonnier de leur mentalité féodale. La lycéenne, autre patient de Sanada, a, elle, aussi été contaminée par l’ancienne société, mais le mal ne s’est pas suffisamment enraciné pour qu’elle ne puisse s’en débarrasser.
Edité par Wild Side, L’ange ivre sortira le 2 mars en même temps qu’autre film d’Akira Kurosawa réalisé pour la Toho, Chien enragé. Les deux films sont proposés en Blu-ray et DVD dans des éditions restaurées. Ils sont chacun accompagnés d’un livret de 50 pages écrit par Charles Tesson, critique et historien du cinéma.
Remerciements à l’équipe de Wild Side.





