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Japon

L’armée oubliée de l’empereur

aka 忘れられた皇軍 - Wasurerareta kogun - The Forgotten Imperial Army | Japon | 1963 | Un documentaire de Nagisa Oshima

Dans ce documentaire de 25 minutes, Nagisa Oshima veut forcer le Japon à regarder son passé en face. Le ton est donné dès le début. Filmé en gros plan, un ancien soldat demande la charité dans un train. Même dissimulées en partie par des lunettes d’aveugles, les séquelles de ses blessures sont visibles sur sa figure. Décision cinématographique forte, ni le spectateur, ni les passagers du train ne peuvent se dérober à cette vision. Le procédé cinématographique rejoint le but politique du réalisateur.

Son passage s’accompagne de la gêne de certains passagers, mais aussi de l’indifférence d’autres. Un jeune couple en particulier capte l’attention de la caméra d’Oshima. Son seul point commun avec l’ancien soldat est de porter des lunettes de soleil, mais pour des raisons bien évidemment tout à fait différentes. Souriant et détournant leurs regards vers l’extérieur du wagon, ils personnifient une certaine jeunesse du Japon des années soixante dépeinte par ce courant du cinéma et de la littérature, baptisé de la tribu du soleil (taiyô zoku). La guerre, ses souffrances et les difficultés de l’après-guerre s’éloignent, il est désormais possible d’être insouciants et turbulents dans le Japon du miracle économique.

Mais pour cet homme, Rakugen Jyo, impossible d’oublier le passé puisque son corps en porte les stigmates et qu’il en subit toujours les conséquences dans sa vie quotidienne. Il appartient à un groupe de 17 anciens combattants de l’armée impériale. Coréens de naissance, ils ont repris leur nationalité d’origine après la guerre et ne peuvent prétendre pour cette raison, ni à la sécurité sociale, ni à une pension militaire en raison de leur statut d’étrangers. Les handicaps de certains sont si prononcés qu’ils en sont réduits à la mendicité pour survivre.

La lettre adressée au Premier ministre lui demandant les mêmes droits que les Japonais étant restée sans réponse, ces hommes ont décidé de venir à sa résidence pour lui demander des comptes. Leurs revendications n’y seront pas entendues, ni au ministère des Affaires étrangères, ni à la représentation coréenne au Japon. Les premiers leur expliquent qu’ils doivent s’adresser à la Corée car ils sont Coréens et le second qu’ils ont été blessés au service du Japon et doivent donc s’adresser à ce pays. Rejetés de tous les côtés, ils se retrouvent une fois de plus, une fois de trop, dans un no man’s land, cette fois-ci politico-diplomatique.

L’hypocrisie du gouvernement japonais est dénoncée via une bande d’actualités sur la conscription des Coréens dans l’armée impériale. Une obligation présentée comme une faveur de la part de l’empereur....

Le réalisateur japonais a choisi une approche très rentre dedans pour ce documentaire. Dans la prolongation de son introduction, il filme fréquemment en gros plan les membres absents, les prosthétiques... Le déplacement cahin-caha de ces vétérans vers la résidence du Premier ministre est accompagné d’une chanson de marche patriotique, vantant l’héroïsme et le sacrifice des soldats. Le triste résultat du militarisme japonais se trouve devant les yeux des spectateurs et est tout sauf glorieux. Leur départ de la résidence est filmé comme une retraite après une bataille perdue pour s’emparer d’une forteresse imprenable.

Cette journée de protestation se termine dans l’acrimonie. Rakugen Jyo se met à nu, littéralement en retirant notamment ses lunettes qui cachaient ses orbites vides, mais surtout humainement en exprimant toute la frustration et la colère nées de sa situation. Ce documentaire prend alors une toute autre dimension. Pendant ces instants, le spectateur partage en effet toute la désespérance de cet homme. Bouleversant.

L’armée oubliée de l’empereur marque l’irruption de la question coréenne dans l’œuvre de Nagisa Oshima, qui y a été sensibilisé lors d’un voyage au pays du Matin calme. Elle sera l’un des thèmes qui irrigueront ses œuvres de fiction au cours des années suivantes, La pendaison et Le retour des trois soûlards notamment. Même nées au Japon, les personnes d’origine coréenne sont considérées comme des citoyens de seconde zone et victimes de discriminations. « Quel citoyen devrais-je être pour être indemnisé ? » s’interroge ainsi dans ce documentaire le président de cette association d’anciens combattants.

Mais comme l’expliquait le producteur de Masao Adachi, Naruhiko Onozawa, si cette question coréenne occupe une place si centrale dans l’œuvre d’Oshima, c’est qu’elle pose le problème de la responsabilité du Japon à travers son comportement durant la guerre du Pacifique. Pour un pays, se pencher sur une période sensible de son histoire n’est jamais facile, l’attitude de la France à l’égard de la guerre d’Algérie en témoigne, mais le Japon n’a jamais été capable de mener jusqu’au bout son travail de mémoire.

Plus de 50 ans après la diffusion de ce documentaire, ce problème garde encore toute son acuité. Le révisionnisme historique connaît de nouveau de beaux jours depuis l’avènement au pouvoir du Premier ministre conservateur Shinzo Abe. Le Yomiuru Shimbun s’est ainsi récemment excusé d’avoir employé pendant vingt ans le terme esclaves du sexe pour désigner les femmes, en particulier sud-coréennes, contraintes à la prostitution par l’armée impériale pendant la Seconde Guerre Mondiale.

L’armée oubliée de l’empereur ne fait pas partie des films sélectionnés pour la rétrospective Oshima, qui a lieu du 4 mars au 2 mai 2015 à la Cinémathèque.

- Article paru le vendredi 20 mars 2015

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