L’Hirondelle d’or
Sans entrer dans les détails techniques que je ne maîtrise pas : compression, format, etc. l’édition DVD de L’Hirondelle d’or, réalisé par King Hu (Hu Jinquan, 1931-1997) en 1965, est superbe. Il y a bien quelques scories dans le haut de l’image, mais regarder le film est un réel plaisir. Ce film a été choisi par le distributeur Celestial Pictures, en tant qu’étendard pour le lancement de son catalogue de DVDs issus de la librairie des studios Shaw Brothers. Le film de King Hu a ainsi été successivement montré dans les plus grands festivals internationaux en 2002 : New York, Venise, Cannes...
On soulignera également l’attention qui a été portée à l’édition du DVD, avec des interviews des principaux acteurs, Cheng Pei Pei et Yueh Hua, ou des spécialistes des films asiatiques, dont l’inévitable Bey Logan. Mis à part l’interview de la fille de Cheng Pei Pei (aussi ravissante que sa mère à son age, soit dit en passant) en vue du lancement prochain d’une séquelle du film, on évite le commentaire commercial et on peut glaner quelques informations intéressantes. Seule l’interview de Yueh Hua est en chinois non sous-titré. Cheng Pei Pei, sa fille et Bey Logan commentent le film.
Malheureusement, il faudra encore patienter pour visionner des copies de bonnes qualités des films de King Hu, dans les éditions DVD qu’ils méritent. Le réalisateur a en effet quitté la maison Shaw après le tournage de ce film : on ne lui avait pas laissé le temps prévu pour la scène de combat qui clôt le film. Une décision qui illustre sa volonté de livrer des films de qualité. Les films qu’il réalisera par la suite, lui vaudront de nouveau le succès commercial (Dragon Inn) et la reconnaissance critique au niveau international. Touch Of Zen sera ainsi sélectionné et récompensé par le festival de Cannes en 1975. Comme tant d’autres réalisateurs soucieux d’obtenir le contrôle de ses films, les projets de King Hu seront de plus en plus difficiles à monter, d’autant plus que ses films vont s’avérer exigeants pour le spectateur. King Hu est un lettré et son cinéma est influencé par la peinture et le théâtre, et même parfois par la religion. Le marché pour ce type de film était alors trop étroit en Asie, et l’Europe n’était pas encore prête.
L’Hirondelle d’or est considéré comme un des films fondateurs de la nouvelle vague de films de capes et d’épées - le Wu Xia Pian (plutôt dans le sens de la traduction de l’expression américaine pour King Hu en raison de son goût pour les espions) - qui émerge dans la seconde moitié des années 60, avec King Hu, bien sûr, mais également Chang Cheh. Le premier se distingue du second par la plus grande sophistication de sa mise en scène, de ses récits, et par l’utilisation d’héroïnes, là où le Cheh ne jure que par le héros. Chang Cheh reprendra cependant le personnage de Golden Swallow, l’héroïne de ce film, dans un film éponyme, où elle partage le devant de la scène avec celui qui deviendra le plus célèbre manchot de la colonie, Wang Yu.
Le film débute par l’enlèvement d’un haut fonctionnaire chinois par des brigands menés par Jade Face Tiger, qui souhaitent l’échanger contre leur chef. Golden Swallow (Cheng Pei Pei), déguisée en homme, cherche à libérer ce fonctionnaire qui est également son frère. Elle va être aidée lors de ses affrontements avec les hors-la-loi par un troubadour alcoolique, "Drunken Cat" (Yueh Hua). Ce dernier est d’ailleurs plus que ce qu’il semble être, comme de nombreux protagonistes des films de King Hu.
L’Hirondelle d’or inaugure la tétralogie des auberges de King Hu (Dragon Inn, Anger, The Fate of Lee Kahn suivront). Ce qui frappe dans le style de King Hu dans ce film, c’est l’élégance de la réalisation, à l’image de l’héroïne principale du film - Golden Swallow. Ici pas de coup de zoom sauvage, les mouvements de caméra sont sophistiqués. Le réalisateur, qui avait exercé auparavant le métier de graphiste, est d’ailleurs connu pour travailler à partir d’un story board. Alors que Hong Kong est et était synonyme de production de qualité médiocre, c’est un film de niveau international que King Hu a réalisé pour sa deuxième oeuvre.
On remarquera la qualité de la photographie à laquelle le DVD rend hommage. Le travail fait sur l’éclairage lors de la première nuit à l’auberge est vraiment superbe. A la différence de nombreuses productions de l’époque à Hong Kong (mais également aujourd’hui à HK et ailleurs, merci la DV), pas de place pour les plans flous, même dans des situations où la luminosité est faible. Une qualité que l’on doit, sous son pseudonyme chinois de He Lanshan, au directeur de la photographie japonais, Nishimoto Tadashi. Avec le succès des films japonais, Run Run Shaw, le patron des studios, avait eu l’idée de faire venir des techniciens japonais, afin d’améliorer la qualité de ses productions. J’aime particulièrement l’un des plans d’ensemble lors du combat final : on y voit les femmes de Golden Swallow aux chapeaux jaunes, encerclant les hors-la-loi.
L’attention portée à la photographie, on la retrouve également dans les décors : pas de cailloux en polystyrène (je pense là à Golden Swallow de Cheh, avec des décors sentant le studio à plein nez). Le décor de studio de l’antre de Drunken Cat est très beau, avec ses tons ocre et vert. Le réalisateur y applique un de ses principes. Il limite le nombre de couleur des décors, afin de mieux contrôler la photographie. Un style peut-être influencé par la peinture chinoise. Dans ses films ultérieurs, il utilisera de la fumée pour rendre le vide utilisé par les peintres chinois dans leurs tableaux.
Un autre art chinois sert d’inspiration à King Hu, l’opéra chinois. On relèvera ainsi l’utilisation du chant pour faire progresser l’intrigue. Lors de l’une des scènes dans l’auberge, Drunken Cat chante afin de recevoir l’aumône mais ses paroles sont des indications voilées à l’attention de Golden Swallow pour l’aider.
Le metteur en scène favorise les intérieurs. Les espaces où se déroule l’action sont peu nombreux, 5 dans ce film, et la taille des plateaux extérieurs est limitée. On y retrouve de nouveau la volonté de contrôle de King Hu. Le cas échéant, il sait néanmoins utiliser les grands espaces, et ne se contente pas de zones de "jachère" pour y filmer ses combats, comme dans de nombreuses autres productions de la colonie. Le combat/poursuite à la fin de Dragon Inn m’avait à ce titre impressionné.
Les combats peuvent en revanche décevoir ceux qui ont été nourris aux productions HK plus récentes, où la filiation avec Chang Cheh est plus évidente. Ici, moins de furie, plus de souplesse : c’est l’élégance et le rythme qui priment. Tsui Hark fera la synthèse dans les années 80. L’influence japonaise, également présente chez Siergeo Leone à peu près à la même époque, se fait sentir. King Hu revendique d’ailleurs publiquement Kurosawa comme une de ses principales influences. King Hu fait doucement monter la pression avant le début du combat proprement dit, aidé en cela par la musique, avant que l’action s’accélère, tout en maintenant l’ensemble en adéquation. Han Yingjie a supervisé les combats du film. Au début des années 60, il était le seul directeur d’arts martiaux du studio des Shaw Brothers, et le premier à être crédité à ce titre au générique d’un film. Il suivra King Hu lors de son départ de la Shaw Brothers, et les deux hommes continueront à collaborer ensemble. C’est lui que Bruce Lee exécute dans un ultime ballet aérien dans son premier film, The Big Boss. Dans ce dernier, Han Yingjie joue non seulement le "boss", mais dirige également les combats.
On comprend donc le choix de Cheng Pei Pei, qui est une ancienne danseuse. Ce rôle la placera d’emblée comme l’une des femmes d’épée la plus en vue de la colonie. Son rôle de Jade la Hyène dans Tigre et Dragon lui a permis de revenir sur le devant de la scène cinématographique. Lorsqu’au début du film elle évolue déguisée en homme, on ne peut que penser à la délicieuse Brigitte Lin. Cheng Pei Pei est une femme charmante, comme on peut le constater dans l’interview qui accompagne le film ; les participants au festival des Trois Continents ont d’ailleurs pu en faire l’expérience l’année dernière. Vision surréaliste de la star hongkongaise des années soixante assise dans un des fauteuils au fond d’une salle de cinéma de Nantes, pour revoir certains films de Wu Xia Pian de cette époque. J’aime à croire que c’était lors de la projection du film de King Hu qui a suivi L’Hirondelle d’or, Dragon Inn. La découverte de ce film, alors que le remake de Tsui Hark m’avait déjà séduit, avait éveillé en moi de la curiosité à l’égard de l’oeuvre de King Hu.
Comme précisé dans l’article, L’Hirondelle d’or est disponible en VCD et DVD HK chez Celestial Pictures.
Je crois que vous aurez compris que le DVD vaut largement l’acquisition !



