La Caja 507
Après mûre reflexion... je vais te pondre un film.
Andalousie, terre de contrastes : la communauté est pauvre comme son sol mais ci et là des points fortement touristiques accueillent volontiers argent et abondance. On peut y passer de superbes vacances estivales et on ne déchantera guère que si l’on regarde les infos. Car chaque journal apporte son bilan de sécheresse menaçante et de feus de forêts incontrôlables, déclenchés le plus souvent par des touristes imprudents. Des infos devenues aussi banales que les vagues d’immigrés clandestins interceptés régulièrement et repoussés vers le continent africain ; on a aussi droit aux nouvelles du trafic de drogue, si opportun dans cette zone frontière, ouverture sur la belle et riche Europe.
C’est sur cette terre que le scénariste et réalisateur basque Enrique Urbizu passe près de cinq ans afin de retrouver l’inspiration et se remettre de l’échec de son métrage précédent, Cachito (1995). La réflexion aura porté ses fruits et le scénario de La Caja 507 (La caisse 507) qu’il signe en collaboration avec Miguel Gaztambide est non seulement diablement solide mais aussi criant de vérité.
Modesto Pardo (Antonio Resines), mène une vie honnête et rangée. Il est le directeur d’une petite succursale bancaire pour qui le temps passe péniblement depuis la mort de sa fille, il y a sept ans, dans un incendie de forêt. Un beau samedi bien chaud, sa banque est attaquée par des pilleurs qui le laissent enfermé dans la chambre forte pour ce qui sera un long mais très instructif week-end. Parmi les coffres éventrés, dans la caisse 507, il découvre des documents dont le contenu lui révèle que la mort de sa fille ne fût pas accidentelle. Il se lance alors dans une quête de vérité et de vengeance qui l’introduit dans un monde de corruption et de spéculation foncière, menée par une bande de mafieux internationaux pour lesquels travaille Rafael Mazas (José Coronado), ex-flic corrompu et apathique. La disparition des documents de la caisse menace la vie de ce dernier, qui entreprend une course effrénée pour les retrouver.
"La caisse 507 est comme une bombe qui, en s’ouvrant, explose entre les mains de deux hommes qui ont presque tout perdu".
Le poids de la caisse.
Avec ses personnages drastiquement opposés, aux objectifs différents mais aux destins croisés, Urbizu nous dépeint en parallèle deux chemins de croix. Rafael utilise ses talents d’ancien flic pour pister les pilleurs de banque, il se voit pris dans une spirale de violence qu’il craint lui même de subir mais qui est inévitable dans son milieu mafieux.
La quête de Modesto est incroyablement touchante. Parce que c’est un homme normal à qui on a donné, dans les paroles du réalisateur, "les clefs de l’enfer", il s’immisce dans l’univers de la corruption foncière avec comme seuls atouts, ce qu’il sait et le fait qu’on ne l’attend nulle part.
La force du scénario est rare car tous les évènements sont crédibles et aucune improbabilité ne vous fera tilter hors de la mise en scène. Urbizu filme donc pas à pas des actions concrètes, des personnages en mouvement, leurs motivations claires et leur progression parfaitement compréhensible. Sa réalisation est épurée mais écrasante d’efficacité. Sans aucune ellipse facile, il livre une somme importante d’informations (alors que le film n’est pas bavard) et reconstruit la pyramide du vice qui mène Modesto des petits hommes de main jusqu’aux beaux costards haut placés. Quand on y pense, ça n’est pas juste vraisemblable c’est carrément gonflé.
Les deux acteurs principaux sont tous simplement impeccables. Bien que tous les deux extrêmement réprimés dans leur jeu (ce qui est particulièrement notable pour Jose Coronado issu jusqu’alors de la comédie légère !!! D’ailleurs regardez bien les photos et je vous laisse deviner à quel comique français jouant dans Mais qui a tué Pamela Rose il ressemble... dingue non ?), on peut cependant tout lire sur leurs visages. Ainsi Urbizu multiplie les gros plans pendant des moments anodins (un simple réveil silencieux de Modesto nous fait comprendre combien la douleur de la perte de sa fille est encore présente en lui, bien des années après), comme pendant des actions cruciales (Urbizu préfère filmer le visage de Rafael tirant un coup de feu plutôt que l’impact sur la victime).
Le succès critique de ce film, notamment à Cognac n’a pas été usurpé, c’est un récit résolument moderne, et malheureusement parfaitement crédible. Enrique Urbizu y épure ses dialogues et, grâce à une interprétation sans faille, il braque son objectif pour filmer le non-dit. Doucement il distille dans son œuvre un pessimisme palpable : les meilleurs idéaux ne font pas bouger le monde, c’est l’économie qui le fait et rien ne l’arrête pour arriver à ses (mauvaises) fins.
"Je fais des films pour me rappeler que celui-ci n’est pas le meilleur des mondes."
Urbizu tire très habilement une sonnette d’alarme et ça valait bien la peine d’attendre cinq ans pour qu’il nous secoue un peu avec un film comme ça.
La Caja 507 est disponible en DVD espagnol (Zone 2 PAL) chez Sogepaq, sous-titré en anglais.






