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Hors-Asie

La Gran aventura de Mortadelo y Filemon

Espagne | 2003 | Un film de Javier Fesser | Avec Benito Pocino, Pepe Viyuela, Paco Sagarzazu, Mariano Venancio, Dominique Pinon, Janfri Topera, Emilio Gavira, María Isbert, Berta Ojea

Une bande dessinée archi-mega-ultra-culte.

C’est avec une touche d’émotion que je vais vous parlez de l’adaptation cinéma de LA bédé de mon enfance, je lisais aussi Pif Poche, ben ouais !! Mes goûts étaient cependant dans la norme car Mortadelo y Filemon c’est aussi LA bédé populaire espagnole par excellence, et Ibañez, son auteur continue les aventures de ses deux personnages depuis 45 ans !!!

Il m’est donc impossible ici d’évoquer le film sans vous retracer le matériau d’origine, qui est une authentique perle rare. Mortadelo y Filemon, vous l’aurez compris c’est un peu l’Astérix espagnol, une œuvre qui a bercé des générations sans vraiment sentir passer les affres du temps (aujourd’hui encore je continue à en acheter, pas Pif Poche !!!).

Comme Gossiny, Ibañez se sert de ses histoires pour épingler avec beaucoup d’humour une satire de sa société : sa culture, sa vision des pays étrangers, des sports, de la politique, tout y passe. Comme Astérix, son "village espagnol" est composé d’êtres très caricaturaux : le voleur portant son masque sur les yeux et quatres montres à son bras, l’épicier roi de l’arnaque, des fils à papa arrogants, des stars vaniteuses, des vieux centenaires sourds et sans dents, des brutes épaisses au Q.I. misérable, des gamins insupportables armés de sucettes géantes, vous voyez où je veux en venir... Tous ce beau monde vit dans une Espagne rétrograde qui restera toujours en partie ancrée à l’époque de la première révolution industrielle. Que cela ne vous surprenne donc pas si l’on s’y bat régulièrement à coups de hache, de fouet, de tromblon, d’un bon vieux bâton ou d’une chaussure cloutée tiens !!!

Dans cet univers coloré, Mortadelo (sans nom de famille) et Filemon Pi (sisi, là c’est son nom de famille) sont deux agents secrets aussi bêtes qu’incapables, travaillant pour la T.I.A. (l’acronyme se lit " tante " dans la langue de Cervantes), le fleuron de l’intelligence policière espagnole, soit une organisation aux moyens déplorables et aux employés plus insolites les uns que les autres. Ainsi Mortadelo est un grand chauve au nez interminable et aux lunettes immenses qui a la particularité d’être un roi du déguisement. Il reste cependant pour nous facilement reconnaissable car il conserve son visage intact quelque soit le costume. Filemon est son chef, c’est un être inutile qui n’a que deux cheveux et pense être un génie.

Leur superintendant "El Super" est un colérique qui corrige inlassablement nos deux flemmards d’agents pour les envoyer travailler. Leur secrétaire Ofelia est une blonde en robe moulante rouge et talons hauts mais avoisinant la tonne et demie. Leur scientifique personnel se fait appeler le Professeur Bacterio, il crée des inventions d’une absurdité étonnante : tel le chaussurophone, portable privé de Filemon, logé autour de son pied gauche ; la machine à copier les gens, qui crée des copies parfaites de son original dans une boite genre photomaton (le clonage bien avant l’heure !!) ; il y a encore la machine à changer le temps, une sorte de mégaphone avec une manivelle qui bouleverse les saisons. Nos deux héros sont donc régulièrement envoyés en mission par el Super et/ou doivent tester une nouvelle invention de Bacterio.

Commencées comme des histoires de quelques cases puis d’une page, les aventures de nos agents si spéciaux ont grandit en format avec la popularité. Atteignant aujourd’hui les 46 pages, elles s’articulent toujours autour d’un thème précis : le racisme, les dinosaures, un tyran, le téléphone portable, le Mondial de Foot, l’Euro, 100 ans d’histoire du comics... chaque thème est divisé en mini-missions auxquelles doivent faire face nos agents... qui échouent toujours d’une façon plus ou moins fracassante.

Vlan, Paf, Aïeeee non pas l’oreille !!!!

Malheurs et catastrophes s’accumulent donc autour de nos héros qui, lorsqu’ils ne se blessent pas seuls, finissent toujours par blesser et/ou ridiculiser un quidam ou des gens de leur propre équipe, et ceux-ci ne manquent pas de les corriger sévèrement. Les pages sont toutes remplies d’une action digne de Tex Avery. Toutes les deux-trois cases ( !!!), quelqu’un se fait tirer dessus, brûler, frapper, écraser, édenter, électrocuter etc. Évidemment, à la case suivante, tout est redevenu "normal"... si ce n’est que vous trouverez souvent un petit animal bizarre qui décorera le coin ou le fond d’une case : une araignée crochetant sa toile comme une mamie, un chien promenant son maître en laisse, c’est comme ça... les "toons" d’Ibañez sont bien frappés ! La bédé est basique, personne ne le niera, mais elle est aussi hyper jouissive et le rythme des gags visuels est simplement affolant.

Si je résume : un univers hypercaricatural, saturé de portraits affreusement sympathiques, régit par les lois de Toonland, découpé par une structure à sketches et le tout se déroulant à une vitesse démesurée. On pourrait traiter de fou celui qui penserait porter cela à l’écran.

Le fou se nomme Javier Fesser. Il est issu du court métrage et de la publicité, fan de bédés et de gags visuel, responsable d’un El milagro de P. Tinto (1998) au surréalisme déjà cartoonesque. Il s’est lancé dans l’aventure avec le modique budget de 3 millions d’euros, juste de quoi faire une super-production nationale...
En relevant le défi, il décide de faire "son Mortadelo" ; son projet est, dès l’origine, acceuilli avec une douce fierté sentimentale/nationale pour les uns, ou comme un gros piège marketing qui sent le burger sauce-paëlla avec flamenco-fries pour les autres.

Mais le film alors ?

Le siège de la T.I.A. est pris d’assaut par un voleur, plutôt ridicule, mais suffisamment malin pour s’enfuir avec la dernière invention du Professeur Bacterio, le D.D.T., le Démoralisateur De Troupes. Ce voleur souhaite revendre cette arme à un tyran excentrique, spéculateur immobilier, régnant sur une dictature peuplée d’ouvriers de la construction et rêvant de balayer Buckingham Palace pour y installer des H.L.M.s. Le Superintendant de la T.I.A. choisit immédiatement de ne pas compter sur ses deux agents Mortadelo et Filemon pour cette mission de haute importance, et préfère donc d’envoyer Fredy Mazas, un agent de renommée internationale à l’accent français (sacré Dominique Pinon !). Pendant que Fredy se lance en territoire ennemi, nos deux agents parviennent à accumuler un trop plein de gaffes et se font virer. Mais il n’y a pas une force sur cette terre qui puisse les arrêter !! En pensant découvrir une bonne piste qui les mènerait au D.D.T. ils entreprennent de le ramener eux-même et enfin prouver à tous qu’ils valent bien mieux que la colossale somme de dégâts dont on veut leur faire passer facture.

Délires ibériques.

Le film démarre dans le laboratoire du Professeur Bacterio sur une douce chanson (en français !) interprétée en playback par un "moustikus karaokus", effet spécial 3D des plus plaisants. Cette douce introduction évoque déjà un univers très décalé et sert uniquement d’avant-goût car Fesser enclenche très vite la vitesse supérieure et affiche les composantes majeures du film : des personnages tous idiots, un univers satirique et bien sûr coups et baffes par dizaines !!

Que l’on soit un connaisseur de la bédé originale ou non, on est facilement dérouté par le rythme et la violence très atypique du film. A grands renforts d’effets spéciaux, les coups sont portés de façon ultra-convaincante. Les gens sont pliés, écrasés, battus à une vitesse sidérante. Il n’est pas évident de se faire à une telle représentation de la violence : hyper-réaliste et toonesque à la fois, cela prend du temps et le spectateur risque d’en sortir anesthésié plus que convaincu. Ceci dit, le travail d’adaptation est étonnement fidèle sur ce point, chapeau bas, les lois de la physique de ce film sont bien celles de l’œuvre originale !!

Le film fourmille d’autres détails fidèles au point que l’on pourra le revoir plusieurs fois et trouver, comme dans la bédé, un objet insolite de ci de là, un panneau comique dans un coin du décor. Le casting est aussi très réussi, certaines ressemblances avec les personnages d’origine sont incroyables (Ofelia). Le monde décrit par Fesser est solide et pour l’étoffer, il a même choisi de croiser en partie son film avec les personnages d’une autre bédé d’Ibañez, 13 rue del Percebe, ce qui lui fournit encore plus de personnages colorés. Donc de ce coté là, je n’ai rien à redire, le design de la production est fabuleux, la transition du papier à la pellicule est le travail d’une équipe dirigée par un vrai fan.

Cependant, et croyez bien que je regrette presque de l’écrire, il y a des éléments moins convaincants dans les choix ou la réalisation de Fesser. Tout d’abord son esthétique, elle est superbe mais... on a de suite l’impression de l’avoir vu ailleurs... comme cet acteur français d’ailleurs...

Un arrière goût de déjà vu.

La photo est en effet, typiquement celle d’un film de Caro-Jeunet. Fesser est un grand fan du travail des français susnommés, il ne le niera pas, ce n’est donc pas une surprise de retrouver ici Dominique Pinon et il est facile de comparer par moments l’ambiance de l’immeuble 13 rue del Percebe à celui de Delicatessen. Fesser a même parodié l’affiche promotionnelle d’Amélie Poulain pour son film. Alors même si c’est techniquement très joli, on a parfois l’impression de regarder le film d’un autre. C’est le grand reproche que l’on pourrait faire au réalisateur, sa maîtrise technique et sa maîtrise du sujet sont parfaites mais il manque une étincelle personnelle.

De la même façon cette étincelle manque dans son scénario, il est original (même si le tyran est issu d’un des volumes les plus réussis de la série) mais ressemble en structure à ceux de la bédé, soit une compilation de courtes histoires. Puisque Fesser est issu du court-métrage on aurait tendance à penser qu’il a privilégié une forme de narration qu’il connaît sinon on dirait qu’il a vraiment cherché à reprendre fidèlement le rythme original. Mais une suite de sketches ne fait, malheureusement pas un film solide.

N’en doutez pas, La Gran Aventura de Mortadelo y Filemon est un très bon film, parfaitement délirant, il est à n’en point douter la meilleure adaptation d’un univers 100% toonesque. En tant que fan je suis comblé, on ne m’a pas trahi ; en tant que cinéphile, je suis un poil déçu, mais un poil ça n’est pas bien gros.

Pour une première adaptation c’est donc très impressionnant et j’attendrais une suite avec impatience (vu le succès rencontré par le film, elle ne saurait trop tarder).
Réjouissons nous, l’Espagne compte maintenant décliner d’autres de ses héros graphiques au cinéma : en prévision on a déjà El Guerrero del Antifaz et Super Lopez (avec un Santagio Segura en bad guy !!). Qu’ils continuent sur le chemin ouvert par Mortadelo y Filemon, et se sera du tout bon !!

La Gran Aventura de Mortadelo y Filemon est disponible en DVD espagnol (Zone 2 PAL), sous-titré en anglais.

- Article paru le mardi 23 septembre 2003

signé Kyllian

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